George-Henri Melenotte
1/ D’emblée, et avant de sacrifier aux gros mots tels que paradigme, ou d’autres encore du même acabit, une première question surgit : pourquoi utiliser l’expression « analytique du sexe » ? Que peut bien vouloir signifier « analytique » et en quoi existerait-il une telle analytique du sexe ?
Allouch donne une réponse dans son dernier ouvrage. Il a puisé le terme chez Foucault, dans la Volonté de savoir.
Dans la première partie intitulée « enjeu » du chapitre IV, sur le dispositif de la sexualité. Dans cette partie, Foucault s’interroge sur la manière dont pouvoir et désir s’articulent. Il se livre à une sorte d’autocritique sur ces précédentes analyses sur la question. Il en arrive à la distinction suivante entre « théorie » et « analytique ». Il écrit ceci :
L’enjeu des enquêtes qui vous suivre, c’est d’avancer moins vers une « théorie » que vers une « analytique » du pouvoir : je veux dire vers la définition du domaine spécifique que forment les relations de pouvoirs et la détermination des instruments qui permettent de l’analyser. (VS, 109)
Chez Foucault, le recours au terme d’analytique a une fonction positive (elle est une définition d’un domaine spécifique), et négative (elle permet de s’affranchir d’une conception dépassée qui régnait jusque-là) : définition et affranchissement fonctionnent ainsi de pair pour qualifier l’analytique.
Il y a une transposition effectuée par Allouch du concept foucaldien du champ de la politique à celui de l’analyse. Ce n’est pas la première fois qu’il opère ainsi avec Foucault, on peut donner en exemple, à propos du soulèvement, le passage qu’il effectue de la spiritualité politique que l’on trouve dans les textes de Foucault à propos de la révolution iranienne à la spiritualité analytique. L’analytique du sexe, si l’on transpose cette définition de Foucault dans la Volonté de savoir, revient : 1/ à définir le domaine spécifique que forment les relations de sexe ; 2/ à déterminer les instruments qui permettent d’analyser ce domaine.
Qu’est-ce que le recours à l’expression « analytique du sexe » apporte de nouveau ? Et pourquoi Allouch n’a-t-il pas dit « champ du sexe » ou « domaine du sexe » ? Foucault donne quelques précisons supplémentaires sur ce qu’il entend par analytique :
Il me semble que cette analytique ne peut se constituer qu’à la condition de faire place nette et de s’affranchir d’une certaine conception du pouvoir.
Parler de l’analytique du sexe plutôt que d’analytique du pouvoir, comme Foucault le fait, revient ainsi à faire place nette d’une certaine conception du sexe en s’en affranchissant. Autrement dit, parler d’analytique du sexe suppose un affranchissement vis-à-vis d’une conception du sexe qui va se trouver dépassée. L’enjeu, pour l’analyse est clairement posé. S’affranchir d’une certaine conception du sexe suppose que l’enjeu de la distinction entre le deux analytiques du sexe comporte ce franchissement, que le passage de l’une à l’autre suppose l’effectuation d’une certaine place nette, je dirai cette fois-ci, au niveau de l’érotique. Disons-le plus directement : l’enjeu de l’emploi du terme analytique à propos du sexe suppose un franchissement portant sur l’érotique. Cet enjeu sera le surgissement d’une nouvelle érotique que l’on n’avait pas perçue jusque-là et qui concerne la fin d’une analyse. Ce surgissement suppose un passage, passage de la première à la seconde analytique avec ceci que la seconde suppose que de la première, il soit fait place nette. Tel est l’enjeu qu’Allouch propose, d’une analyse. L’opération analytique porte sur le passage de la première analytique du sexe à la seconde. Cette opération fait qu’à la fin d’une analyse, on passe de la première à la seconde. Et la passe consiste en un dispositif qui permet d’entériner – ou non – un tel passage.
Il y aura par conséquent deux analytiques du sexe, dont le rapport de l’une à l’autre va demander une définition précise tant de l’une que de l’autre parce que le passage de l’une à l’autre suppose un franchissement décisif.
2/ Que dit Allouch, dans sa conférence à Strasbourg du 1er avril de cette année, que l’on trouve sur son blog sous le titre de Suite fantastique, de ces deux analytiques du sexe ?
Je le cite :
En envisageant le sexe en tant que rapport, Lacan fit valoir un inédit registre du sexuel, tout à la fois différent et voisin de celui qu’à la suite de Freud il avait jusque-là étudié et reconfiguré.
Je poursuis la citation :
Ainsi (on ne soulignera jamais assez l’importance de cet ainsi), suis-je (c’est Allouch qui franchit le pas comme un Rubicon qui annonce qu’il ne pourra plus faire machine arrière) amené à distinguer deux analytiques du sexe : d’un côté (seconde analytique, celle du rapport), un Autre sexe ; de l’autre (première analytique, on la dira celle du petit a), un Autre de désir ; d’un côté, un rapport sexuel, de l’autre, une loi sexuelle ; d’un côté, une normalité manquante, de l’autre, une anormalité ; d’un côté , une hétérotique, de l’autre une diversité sexuelle.
De cette citation, retenons pour l’instant ce qui peut faire détermination du domaine propre à chaque analytique. De la première, on retiendra que son domaine propre est celui de l’objet a, de la seconde, le domaine propre est celui du rapport, rapport sexuel s’entend. Nous avons bien en place l’une des deux caractéristiques qui permet de nous entendre sur ce qui spécifie une analytique.
Mais il manque l’instrument. Quel est l’instrument qui permet de fonder à chaque fois chacune de ces analytiques ? Cet instrument est à chaque fois le même : c’est l’opération analytique elle-même. L’analyse est l’instrument qui permet de rendre effective la distinction être ces deux domaines que sont celui de la première analytique et celui de la seconde. Nous voilà ainsi doté et du domaine propre à chaque analyse, le domaine de l’objet a pour la première, le domaine du rapport sexuel pour la seconde, et de l’instrument qui dans les deux cas, est l’opération analytique.
3/ Quels sont les termes qui viennent spécifier les deux analytiques du sexe ?
Vous voyez que dans la citation que je viens de vous faire, il y a déjà toute une série de termes qui permettent de creuser la distinction entre les deux analytiques, termes qui vont demander maintenant une approche plus fine, car à vouloir aller trop vite, on risque de sauter des étapes qui vont avoir pour résulter de semer la confusion dans les esprits. Quels sont ces termes ?
Du côté de la première analytique, on trouve : un Autre de désir ; une loi sexuelle ; une anormalité ; une diversité sexuelle. Du côté de la seconde, un rapport sexuel, une normalité manquante ; une hétérotique.
Mais avant d’aller plus loin, il est nécessaire de nous arrêter un instant sur ce qui a pu provoquer l’apparition de cette distinction entre les deux analytiques du sexe. Elle trouve un de ses sources dans le commentaire qu’Allouch fait de la mise à plat du nœud borroméen :
Voici la figure proposée dans (PYAEPR, 26):
Figure 1
Nous voyons sur cette mise à plat du nœud la flèche qui indique le vrai trou. Il est caractérisé par trois inexistences : il n’y a pas, à cet endroit, de Jouissance de l’Autre (Donc exit cet Autre comme lieu de jouissance), pas d’Autre de l’Autre (donc exit Dieu comme lieu de la colonisation de cet Autre par Dieu) et il n’y a pas de rapport sexuel (donc exit le rapport sexuel), non plus. Cette plage, située là, est contiguë, à la cellule centrale, celle où Lacan loge l’objet a. On peut tout simplement lire la dimension du lieu qui diffère sur le nœud entre ces deux plages qui sont, entre elles dans une relation de voisinage, mais ce voisinage les distingue. Elles ne sont pas identiques. C’est cette non-identité entre les deux plages qui permet à Allouch de fonder cette distinction.
Ceci nous permet de passer l’image suivante que l’on trouve dans (PYAEPR, 27). Puis la suivante :
Figure 2
Cette deuxième figure met en place les deux analytiques du sexe telles qu’Allouch les lit sur la mise à plat du nœud. On y voit, à la place du vrai trou, le lieu de l’analytique du rapport. Attention de ne pas tomber ici dans la confusion. Quand Allouch parle d’analytique du rapport, il indique que c’est à cet endroit du nœud, dans cette plage, que se joue la question du rapport. Mais elle se joue justement dans les termes suivants : à cet endroit où se joue le rapport sexuel, à cette endroit de la seconde analytique, ce qui apparaît est le non rapport sexuel. Il se joue à l’endroit où du rapport sexuel comme domaine, ce rapport se présente comme inexistant. Et l’on voit tout aussi bien le voisinage qui existe entre seconde analytique et première analytique du sexe, puisqu’il n’y a qu’un bout de corde qui les délimite l’un par rapport à l’autre, un bout de corde du symbolique, marqué sur cette figure par S.
4/ Pourquoi un tableau sur les deux analytiques du sexe ?
Allouch propose au début de sa conférence à Strasbourg – à noter que ce tableau n’apparaît plus dans Pourquoi y a-t-il… ? – un tableau à visée didactique, qui permet d’enfoncer le clou pour établir les termes qui lui servent à donner corps à cette distinction. On y voit deux colonnes l’une celle de la première analytique, de l’autre celle de la seconde analytique
Dans Pourquoi y a-t-il de l’excitation sexuelle plutôt que rien ?, Allouch donne ses raisons sur une telle répartition des termes en deux séries placées chacune dans une colonne différente. Mais il la fait à propos d’un autre tableau que celui présenté ici. Il utilise le mot distribution :
Ainsi une certaine distribution de l’érotique en deux « registres », ou « dispositifs », ou « analytiques », apparaît-elle commune à Lacan et Foucault. Que l’un et l’autre qui, par ailleurs, pèsent si différemment en soient venus à une telle distribution en deux suggère qu’il doit bien avoir là une raison parmi les plus sérieuses (PYAEPR, 18).
Les deux analytiques sont « lacaniennes » (PYAEPR, 25). Allouch écrit que « Lacan a ainsi, par touches successives, introduit une autre et nouvelle analytique du sexe, celle qui donne ses assises à l’ « il n’ya pas de rapport sexuel ». C’est dire que la distinction entre les deux analytiques du sexe se trouve déjà dans Lacan, pour peu que l’on arrive à lire les petites touches par lesquelles il procède au fil du séminaire.
Mais revenons au tableau qui vient d’être présenté. A propos d’un autre tableau, présenté dans PYAEPR (19), Allouch écrit que le fait de « disposer des données en tableau prête à conséquence, permet, notamment, d’apercevoir certains voisinages, voire certaines communautés des positions tenues, qui ne seraient peut-être pas repérables sans cette manière de formalisation ».
Dans le tableau qui nous intéresse ici, on voit que les termes ont entre eux une certaine correspondance. Peut-être y a-t-il quelque chose qui pourrait induire en erreur. Car à trancher ainsi la différence entre les termes de chaque colonne, on peut suggérer une symétrie entre les termes, voir une opposition, qui n’est pas de mise. Ce point toutefois mérite d’être souligné, car lire ainsi les termes répartis dans chaque colonne revient à leur donner un même statut. Alors qu’il apparaît que ces termes, selon qu’ils appartiennent ou pas à telle ou telle colonne, ont un statut différent.
Voilà le point : les mots de la première analytique n’ont pas le même statut que ceux qui appartiennent à la seconde analytique.
Prenons deux exemples :
1/ Première ligne du tableau : colonne de gauche : L’Autre de désir, colonne de droite : l’Autre sexe.
Cet Autre du désir, c’est tout aussi bien le trésor des signifiants que le (A), c’est-à-dire l’Autre où le désir est désir du désir de l’Autre ou désir qui prend sa source dans le manque du rapport sexuel.
En regard de cet Autre, figure dans la colonne de droite, L’Autre sexe en deux mots, l’on sait qu’Allouch avec son livre les fusionnera pour en faire un énigmatique Autresexe.
Alors, dans PYAEPR, Allouch donne deux citations de Lacan :
a/ « C’est d’abord le corps, notre présence de corps animal qui est le premier lieu où mettre des inscriptions. » (10 mai 1967).
b/ Ce lieu de l’Autre n’est pas à prendre ailleurs que dans le corps (Résumé du séminaire La Logique du fantasme).
L’Autre apparaît sous un jour nouveau. Il n’est plus l’Autre langagier, mais il est corporel.
Puis suivent deux nouvelles citations :
a/ L’Autre, dans mon langage, ce ne peut donc être que l’Autre sexe (16 janvier 1973)
b/ Cet objet petit a, ce n’est pas l’Autre, c’est pas l’Autre sexe, c’est l’Autre du désir (4 février 1973)
Voilà l’Autre sexué. En plus d’un corps, le voilà affublé d’un sexe. Mais alors, s’interroge Allouch, quel serait son sexe ? Et surtout, question sensible, je cite, « y aurait-il deux Autres, un Autre sexe, à distinguer d’un Autre du désir, tandis que l’objet a concernerait cet Autre du désir, non pas l’Autre sexe ? »
Vous voyez que dans le tableau que nous sommes en train de commenter, il y a la réponse. L’Autre sexe appartient à la seconde analytique alors que l’Autre du désir, l’Autre langagier, appartient à la première.
Cet Autre sexe en deux mots, puis en un, a donc un corps et un sexe. Il suffit de se rapporter à Une femme sans au-delà, pour voir en quoi, avec la passion de Ferdinand Alquié pour Amélie Grimal, Amélie est bien un bloc de chair inaccessible et d’une radicale indépendance vis-à-vis d’Alquié, marquant de ce fait, son altérité corporelle et sexuée.
2/ Deuxième exemple : quatrième ligne du tableau
Colonne de gauche : désir ; colonne de droite : soulèvement.
Le désir dans la première analytique n’est pas le soulèvement de la seconde. Car, dans le désir de la première analytique, ce désir est désir du désir de l’Autre. Alors que dans la seconde analytique, le soulèvement est un désir en propre qui ne s’appuie ni ne se fonde sur quoi que ce soit qui soit du registre de l’altérité. Le soulèvement est ce désir en propre qui se suffit à lui-même. Il n’entre pas dans le cadre préexistant de l’existence d’un Autre pour émerger puisque c’est à l’inverse que le soulèvement, quand il se produit, est l’éveil d’un désir libre, désarrimé de tout Autre puisque cet Autre n’existe pas.
Le soulèvement est un désir désautruifié, si vous me permettez ce barbarisme, même s’il garde de l’Autre son lieu, mais un lieu inoccupé. C’est un désir, qui dans sa radicalité est un désir indestructible, comme Freud le note, à la fin de la Traumdeutung, mais à la différence de Freud, c’est un désir qui n’est à l’image d’aucun passé. Dire que c’est un désir propre indique seulement que c’est un désir à lui tout seul qui ne demande rien à personne, à aucun Autre qui a pu fonctionner auparavant pour le déterminer. C’est ainsi que le soulèvement, comme le dit Foucault à propos du soulèvement iranien, est sans raison. Il apparaît, sans fournir la moindre justification à son avènement. Et son apparition prend valeur d’événement car quand il surgit, il brise les chaînes de son aliénation antérieure dans les filets du grand Autre. C’est en cela qu’il est libre et ne demande pas son reste, quand bien même, le risque inhérent à son apparition, serait, comme Foucault le souligne, le prix de la vie.
Alors, je vous disais que les termes qui figurent dans chaque colonne de ce tableau ont des statuts différents selon l’analytique à laquelle ils appartiennent. Cette question m’est venue à l’esprit de manière particulièrement aiguë à partir de la dernière séance tenue dans l’atelier sur les deux analytiques du sexe à Strasbourg, pas plus tard que mercredi dernier. A une personne présente me proposant de m’abstenir d’utiliser ce vocabulaire de la deuxième analytique et de reprendre ce que je lui disais avec des termes simples, je le fis tout de go. Le résultat fut mauvais. Je me surpris en employant les termes de la première analytique pour parler de la seconde de comprendre, sur le coup, combien cela ne marchait pas. Cela m’exposait à la conclusion que rien n’avait changé et que la seconde analytique n’existait pas.
Il y a donc, avec cette seconde analytique, une crise sémantique qui est ouverte dans le champ freudien. Si les termes de la seconde colonne sont propres à la seconde analytique, il ne saurait être question, pour l’expliquer d’employer les termes de la première. Cela tient à la différence de statut entre les mots.
Je propose ici une distinction dans le statut de ces termes. Autant ceux de la première analytique relèvent du signifiant, c’est-à-dire relèvent du sens et de sa levée qui mène à la production de l’objet a, autant tel n’est pas le cas, de ceux de la seconde. Leur fonction est déictique. Ils montrent du doigt le vrai trou. Ils permettent l’approche de ce trou traumatisant de l’inexistence de l’Autre, ils orientent vers lui, et ils rendent compte de cette orientation vers cette inexistence qui devient effective lorsque l’opération analytique se termine.
Je dirai, en face de ce tableau, que la fonction des termes de la colonne de gauche est signifiante, alors que dans la seconde, elle, est déictique du trou de l’Autre. Ce qui fait que la proximité qui résulte de l’utilisation de ce tableau peut être trompeuse pour peu que l’on ne mesure pas l’hétérogénéité des termes selon la colonne dans laquelle ils sont placés. Il n’y a donc nulle symétrie entre ces deux colonnes, nulle opposition, simplement une distance qui les sépare de façon telle que ceux de la première colonne, en fin d’analyse, s’effacent pour laisser place aux termes de la seconde.
5/ Qu’est-ce que la liberté eut avoir comme effet sur la pratique analytique ?
Revenons pour finir sur la liberté. Je m’interroge pour ma part, sur cet engagement qui fut le mien dans l’analyse depuis tant d’années. Et quand j’y pense, je ne trouve aucune justification valable à un tel engagement. Car, je me rends compte avec le recul du temps qui passe, combien cet engagement reste présent, sans prendre la moindre ride, au point que même le temps n’a pas réussi à me donner les raisons qui me permettrait de dire aujourd’hui combien cette tombée dans le trou freudien reste pour moi aujourd’hui marqué par la plus grande opacité. Souvenons-nous de Ferdinand Alquié qui se désespère de son amour pour Amélie Grimal qui lui oppose la plus vive résistance à son essai de compréhension. Il a beau faire, rien ne lui permet de connaître, de savoir que qui lui arrive devant le bloc qu’est cet objet sur lequel sa volonté de savoir se brise au point de le laisser démuni, voire par moments désespéré.
Que je me sois retrouvé libre en tout cas est indiscutable. Libre du savoir médical qui avait jalonné toutes les années de ma formation. Libre donc de ce moule qui dompte la bête pour l’amener à avoir des réactions réflexes devant la maladie. Libre surtout devant le savoir psychiatrique, si longtemps acquis et qui donnait à ma personne une sorte d’aura, celle que l’on m’attribuait dans la vie quotidienne lorsque je sentais cette sorte de crispation dans mon entourage qui craignait que par devers lui, je devine la structure psycho pathologique dont tel ou tel pouvait être affublé.
L’analyse mène, dit Allouch, au courage du non-savoir et je rajoute, tant du côté de l’analysant que de l’analyste. Dans son tout récent séminaire, qui remonte à à peine une semaine, donné à Paris, il cite Lacan le 1er juin 1972, dans Le savoir du psychanalyste :
Il y a peu de choses aussi abjectes à feuilleter que l’histoire de la médecine. ça peut-être conseillé comme vomitif ou comme purgatif, ça fait les deux. Pour savoir que le savoir n’a rien à faire avec la vérité, il n’y a rien de plus convaincant. On peut même pas dire que ça va jusqu’à faire du médecin une sorte de provocateur. Ça n’empêche pas que le médecin se soit arrangé – et pour des raisons qui tenaient à ce que leur plate-forme avec le discours de la science devenait plus exiguë – que les médecins se soient arrangés à mettre la psychanalyse à leur pas. Et ça, ils s’y connaissaient, ceci naturellement d’autant plus que le psychanalyste étant fort embarrassé, comme je suis parti là-dessus, fort embarrassé de sa position, il était d’autant plus disposé à recevoir les conseils de l’expérience.
On le voit Lacan n’y allait pas avec le dos de la cuillère. Allouch ajoute que Lacan prenait toujours soin de ne pas charger l’analysant de la responsabilité de sa propre liberté. Il poursuit : « être libre, c’est s’adresser à la liberté d’autrui ». Allouch donne deux exemples de son analyse avec Lacan où celui-ci a manifesté son esprit de finesse, esprit qui visait à s’adresser à chaque fois à sa liberté pour qu’il puisse l’exercer là où, de façon patente il lui était arrivé d’y renoncer.
Je terminerai par cette remarque issue de la citation que je viens de faire de Lacan. Que l’analyste se trouve embarrassé par sa position peut l’amener à recevoir « les conseils de l’expérience. » Eh bien, si la position de l’analyste consiste en quelque chose, c’est de ces conseils savoir ne pas en tenir compte.
À propos de la nouvelle érotique qualifiée de « nouvelle mystique » (PYAESPR, 47), Allouch traite de la liberté :
Il suffirait d’admettre qu’un désir a conduit à l’union sexuelle pour définir ce désir comme un désir d’une absence de désir (de rapport sexuel). Autant dire que cette formule ouvre un gouffre dans l’érotique. Y aurait-il lieu, à ce propos, d’évoquer une nouvelle mystique, une mystique plus proche de saint Jean de la Croix que de sainte Thérèse d’Avila ?
Cela, Lacan l’appelait « liberté » : « ce qui s’appelle la liberté, entant qu’elle est précisément identique à cette non-existence du rapport sexuel »(17 février 1971) . Et c’est, proposerais-je, de cette liberté liée à la non-existence du rapport sexuel que prend son envol ce qui peut, avec Foucault, être dénommé « soulèvement ».
6/ D’où prend son envol l’excitation ?
L’excitation est comme appelée par ce « vrai trou » volcanique, lequel doit être qualifié d’érogène.
Comment se fait-il que les trous du corps soient à ce point excitants ? Non pas qu’ils le soient toujours, mais quand cela arrive, on en est toujours surpris.
On ne voit d’ailleurs pas quel autre trou que le trou de l’Autre pourrait rendre, à l’occasion, si excitants les trous du corps. Bouche, oreille, œil, anus (plus justement dénommé « trou du cul », « anus » valant comme son nom désérotisé), vagin, cette première et plus évidente liste de trous doit être complétée afin de rejoindre celle des objets a. Un regard qui fascine configure, lui aussi, un trou. Un pénis phallicisé peut aussi offrir son trou et s’offrir comme trou à qui s’en émeut, on n’en veut pour preuve que cet appel qu’il présentifie dans la tension où il se trouve de ne pouvoir en rester bêtement là.
Or, vu froidement, aucun de ces trous ne présente le moindre intérêt érotique. Ils ne peuvent que recevoir d’ailleurs cette valeur érotique, et ne la recevoir de rien d’autre que du trou de l’Autre qui rend excitants, charnels, vibrants les trous corporels, tandis que ces derniers le convoquent (à ce titre, ils ont fort à propos été nommés « zones érogènes ».)
On s’interroge. Si la première analytique du sexe est celle de l’objet a, soit celle de la pulsion, du fantasme et de l’angoisse, alors les trous corporels comme zones érogènes relèvent de cette analytique. Or tel n’est pas ici le cas. Les zones érogènes que sont les trous ne tiennent leur caractère excitant que du trou de l’Autre, soit de ce qui relève de la seconde analytique. Faut-il voir dans ce passage une relation de voisinage des deux analytiques ? Une cohabitation qui fait que l’une ne va pas sans l’autre ?
Par delà l’excitation du trou du corps, est visée celle qu’appelle le trou de l’Autresexe. C’est en ses tournant vers l’Autre que le parlêtre se trouve excité, vers cet Autre in-existant dont il reçoit la sollicitation qui l’ébranle, qui le met en branle. (44-45)
Il y a le geste qui consiste à se tourner vers l’Autre, à s’en approcher, pour s’en trouver exciter. Autrement dit, le parlêtre bouge.