Marie-Lorraine Pradelles-Monod
Présentation du livre de Ricciotto Canudo
« Les libérés »
On ne sait par où commencer tant ce livre est foisonnant et les fils que l’on peut suivre, nombreux. De plus, plane sur notre tête le fait que Jean Allouch en a fait sa propre lecture et que c’est bien par rapport à cette lecture que nous avons à commenter ce texte. Or, difficulté ajoutée, je ne connais pas le contexte entourant la citation de ce livre. Donc c’est un peu à l’aveugle que je vous propose quelques éléments de lecture.
Tout d’abord qui est Ricciotto Canudo ? Vous avez pu le lire en page 301 de ce livre, Canudo n’est pas un psychiatre, mais un écrivain, né en 1877 en Italie et venu en France en 1901, comme envoyé spécial d’une petite revue italo-anglaise. Il est surtout connu par le fait qu’il a réussi à promouvoir le cinéma comme 7éme art . En 1922, il déclare (L’intransigeant, 1er avril : « Le cinématographe est un art. Le film est une œuvre d’art. L’écraniste peint avec des pinceaux de lumière, comme l’organiste joue avec les souffles des tuyaux. »
(Cela m’a évoqué la main de Korowski qui, en l’air, « dessine », qui « peint » madame Fellerson, et qui la « transpose » « en rythmes aériens ». (271))
en 1910, il publie La ville sans chef, son premier roman, qui n’a pas beaucoup de succès, mais qui, d’une certaine façon, amorce Les Libérés, publiés en 1911, en sous-titre :Mémoires d’un aliéniste, et sous-sous-titre : Histoire de fous.
Et c’est bien à une histoire de fous, dans les deux sens du terme, à laquelle nous sont confrontés.
Par ailleurs, Il joue un rôle actif dans les milieux d’avant-garde littéraire et artistique, en fondant (1913) une revue Montjoie!, ouverte aux écrivains, peintres et musiciens. Appolinaire, Fargue, Fernand Léger, Igor Strasvinski, Chagall..), elle se veut avant tout « cérébriste », ce qui veut dire selon Canudo, « sensuel et cérébral tout à la fois ».
Je trouve que ces deux termes « sensuel » et « cérébral » caractérisent bien cet ouvrage, qui donne une définition passionnante de ce que c’est que la création et l’artiste, par rapport au fou et à la folie, dans une relation étroite avec le criminel (276 et suiv.) Les fous, les criminels, les créateurs ont ceci en commun c’est qu’ils s’affranchissent des lois et des codes moraux qui permettent la vie en société. C’est en particulier dans cet affranchissement des lois et des codes moraux que se trouve le criminel, la « criminalité représentant la contre-partie victorieuse de l’individu libre et nu sur le cheval naturellement indompté de ses passions » (38) (Douanier Rousseau. La guerre).
Mais qu’est ce qui différencie les fous des créateurs et des criminels. « La criminalité tend à une œuvre de destruction, la génialité tend à une œuvre de concentration et la folie ne tend à rien, elle n’a aucun but conscient par rapport à la collectivité. Elle est la libération parfaite de l’individu absolument affranchi ». (190)
L’artiste crée esthétiquement ses visions, il transpose en une vie extérieure poème, symphonie, tableau… la plénitude de sa vie intérieure le fou les vit. C’est à dire que « entre la volonté stérile et la réalisation féconde, entre le désir et l’acte, il y a l’abîme de toute notre douleur, càd du mouvement qui est toute notre vie » (190) (278).
Quelle est la différence entre le « délire esthétique » et le délire pathologique ? Elle se situe dans le sens que peuvent avoir les rapports des fous ou des artistes avec le reste de l’humanité (277). « L’artiste représente le triomphe de l’individu sur la masse, mais en même temps par le plus étonnant effort de la nature qui fait de l’artiste tout à la fois un individu et la synthèse d’un groupe innombrable d’individus, il garde tous ses rapports avec les autres êtres ». (281)
Korowski, un des acteurs principaux de cette histoire, lui, est un artiste « manqué ». Il vit en parfaite abstraction de visionnaire, tout comme tout artiste qui enfante. Mais voilà le problème : ne pouvant « extérioriser le tumulte de sa vie intérieure dans une forme sensible, plastique ou sonore, ne pouvant créer esthétiquement ses visions, il est vit. Il est un artiste manqué parce qu’il n’enfante pas ses visions cad il ne les fait pas sortir de lui-même, il devient lui-même la créature de sa vision » (278)
Lorsqu’il est musicien, il est le chef d’orchestre d’un orchestre, invisible pour tous. Je cite : « Je l’ai vu lever le bras dans le geste, devenu pour nous habituel du chef d’orchestre, se raidissant dans une visible joie de domination, comme si devant lui, non une foule d’instruments vibrait aux accents de son âme, mais une foule d’âmes s’extasiait au souffle extraordinaire de sa volonté. » (96) On peut remarquer qu’à la musique réelle, issue d’instruments tangibles, perçue dans la réalité par l’ensemble des internés, répond cette musique invisible, perçue de façon hallucinatoire par l’ensemble, ou par quelques uns des internés.
Lorsque Korowski est peintre, il est décrit comme « assis dans le jardin, devant un chevalet imaginaire, et avec des couleurs qui n’étaient que dans la nature, et des pinceaux qui n’étaient que dans la volonté de ses doigts, il a composé un tableau que les yeux, attentivement, minutieusement, un tableau que les yeux de son esprit seuls voyaient. » (202)
(Cercle des personnes qui le regardent. Lien d’émotion)
Entrons dans cet ouvrage, qui se présente comme une utopie pour soigner la folie.
Tout à la fois, cahier d’observation et journal, il est écrit à la première personne du singulier par un psychiatre, dont nous ne connaitrons pas le nom, et qui dirige une sorte d’hôpital psychiatrique, « construction harmonieuse d’une oasis » « Premier temple de la folie » consacré à l’harmonisation des anomalies de la psyché humaine » (83) : La Villa, tel est le nom de cet établissement qui accueille une trentaine de personnes.
La description des internés est traversée :
– par la question de la dégénérescence et donc de l’hérédité de la folie, théorie promulguée par le psychiatre très en vogue à l’époque, Valentin Magnan, (clinothérapie) : ainsi Darvila : « rejeton dernier de 4 ou 5 générations d’aliénés »(230) ou encore à propos de De Chanviers : « la dégénérescence naît du contraste en l’excessive pureté d’une race et la nécessaire impureté du milieu (161 et suivantes)
– par la question que pose la ségrégation complète des sexes sur la sexualité des individus, ce qui les rendraient fous, et/ou accentuent leur folie.
– et, je viens de le souligner, par la relation très forte que l’auteur, le psychiatre, institue entre criminels, fous et créateurs.
D’ailleurs ce psychiatre réunit, à lui tout seul, ces trois facettes.
Il y a de la folie (et beaucoup de créativité), dans sa conception de la folie et dans la méthode de soins qu’il prodigue aux internés.
– Créativité dans la conception d’une forme particulière d’architecture de La Villa (le hall construit en marbre divers dans une harmonie de couleur et de lumière, proportionnés à la quantité sonore de la musique qui peut s’y faire entendre. C’est le « premier temple musical » (85).
– Créativité dans le travail sur entre les différents lieux de telle sorte que chaque personne doit « avoir l’illusion de sa plus parfaite liberté ». (114)
– et troisième facette, le psychiatre finit comme criminel.
Mais aussi, et ce serait une entrée possible dans cet ouvrage, on pourrait reprendre la manière dont l’auteur s’intéresse à ses malades, du moins à certains d’entre eux, ses préférés, càd ceux avec lesquels il construit sa théorie, dans une approche à cheval sur une description clinique et une mise en histoire de leurs symptômes, de leur comportements, et la manière dont il prend soin d’eux.
Le fondement de cette méthode de soins repose sur un trait particulier du psychiatre : celui-ci doit « rester un dominateur » (293). Ce terme revient à maintes reprises dans cet ouvrage ; « la domination est une forme du don de soi » (195). C’est ce qu’indique a contrario dés le début du livre sa description de la chambre dite aux « Sacerdotes du non-dire », consacrée aux paralytiques, qui ne peuvent plus parler, elle est décorée par un grand sculpteur « Raydet » qui en a fait un chef-d’œuvre funéraire. Dans cette chambre, il n’y a personne à dominer. Cependant, même dans cette pièce, de la domination existe, sous la forme d’un siège, comme un trône, consacré au génie de Raydet, « le siège dominateur ». (55)
Qui sont Les Libérés ? Comme, pour nous, leur nom ne l’indique pas, ce sont les fous. Pourquoi ? En dehors du fait que la folie est « une tare physiologique », elle est, avant tout pour l’auteur, « l’affirmation d’une volonté individuelle triomphante » (37) pour laquelle « les bornes morales », qui règlent les rapports entre humains, n’existent plus, pas plus que n’existent d’ailleurs les rapports d’un individu avec le monde qui l’entoure. La folie se caractérise par une grande désorganisation sociale et par le fait que le fou est un être qui recherche la solitude, évitant tout contact avec autrui. Il est toujours occupé ailleurs (84)
Le fou est affranchi, ou s’affranchit des lois, des codes moraux qui permettent la vie en société. Et le psychiatre en rend responsable la société qui ne cesse de sacrifier l’individu à la collectivité, ce qui fait de la folie « une anomalie dans la nature » (37).
Pour le psychiatre, son système de penser les soins repose sur « la théorie musicale de la folie » et sur le fait que c’est la ségrégation complète des sexes qui rend les gens fous. (38) qet qu’il faut donc la supprimer.
Qu’est-ce que cette théorie :
Elle est basée sur le fait que le psychiatre doit agir sur « l’organisme subtil » de ses sujets et non directement sur leur « organisme corporel ». La collectivité forme une « agglomération de forces puissantes » (39), sorte « symphonie sociale », dans laquelle le fou se trouve dans l’état d’un « accord dissonnant », et ceci par un « excès ou un défaut de son organisme, c’est-à-dire de sa puissance vibrante ». Lorsqu’on réunit plusieurs de ces organismes, il se produit des échanges de vibrations, d’énergie, profitables à tous. Pour le psychiatre, à la limite, la folie n’est pas un « état maladif », mais parfois un « état de santé débordante ». (41) Ce débordement, il doit s’en débarrasser en en faisant profiter d’autres organismes qui eux sont en état de défectum.
Ainsi, Le Slave, Korowski, est un être qui semble avoir un « inapaisable besoin de vibrations » et ceci le psychiatre le déduit de la manière qu’a cet homme de « ramener les mains vers lui, les doigts tournés vers sa poitrine » comme s’il « ramassait de la vie autour de lui, pour la projeter sur sa poitrine, sur son cœur, sur son front ». Ce « trop » inquiète le psychiatre qui parle « d’une force centripète redoutable ». (58)
Quelle est la clé, le moteur peut-être, de ces échanges d’énergie : eh bien tout simplement la sexualité (40) qui permet des échanges sexuels, à condition qu’ils soient non « corporéisés », càd sous forme de vibrations soit masculines, soit féminines. C’est ce qu’il appelle aussi sa « thérapeutique bisexuelle de la folie ». (238) Ces échanges de vibrations sont favorisés par des « traitements musicaux » qui s’effectuent dans le temple musical. Cet échange de vibrations fonctionne un peu à la manière de vases communicants, et doit rétablir un équilibre, une harmonie là où il y a déséquilibre, dysharmonie. Que provoque la musique ? En gros, ce que l’auteur appelle « une fusion des isolements », qui rassemble tous les internés en une « unité réelle et multiple », en un Tout qui ondoie au rythme de la musique, dans une communion directe avec la nature et avec Dieu (85) « La musique crée un tourbillon où tous les esprits sont entraînés et se fondent dans un même rythme imposé ». (196) Par exemple : chapitre 19 où il y a une description étonnamment vivante, des internés, les « préférés », écoutant un orage de musique, provoqué par le musicien Kreisler. (180)
Et le psychiatre se vit en en chef d’orchestre, en « psychiarque » (oligarque ?) de la « superbe symphonie sexuelle » qu’est la Villa. (41) « Je suis » dit-il « la conscience centrale d’une multitude d’âmes dispersées. Je suis vraiment le chef de ceux qui n’ont point de chef ». (133)
Ce terme de psychiarque amorce, me semble-t-il, le drame qui va se nouer entre deux personnalités, entre une « volonté de domination psychique » et une « force d’attraction irrésistible et non consciente » qui émane d’un résident russe, nommé d’abord, le Russe, Le Slave, puis Korowski, et qui va bouleverser l’ordre des choses. Par exemple, « Cette nuit-là, il rythmait des âmes et des corps ultra sensibles, selon sa volonté – ou plutôt selon ses besoins, son instinct – pendant le sommeil des autres » (171)
Un événement : la mort d’une patiente, Melle de Chaivry, qui aspirait (aux 2 sens du terme) tellement à l’amour qu’elle faisait s’étioler tout homme à côté d’elle. « Elle est morte désespérée de sa laideur atrocement répugnante, qui lui faisait se déchirer la poitrine lorsque le besoin irresistible du mâle la poussait vers un être qui, immuablement, la fuyait ». Elle finit par mourir par « manque d’amour ». « Morte parce que trop laide. » Cet événement, avec l’arrivée du Slave, marque le début de la fissuration de ce bel édifice qu’est cette institution et la méthode qui en est au fondement.
Qu’est-ce que la mort de Melle de Chaivry provoque ? Une sorte de « vide immense » dans l’atmosphère de la Villa « dans lequel se précipitent en désordre les plus vibrantes sensibilités » (73). En effet, cette aspiration si forte à l’amour « déterminait » dit le psychiatre « un nœud de volontés sexuelles » (69).
Et, à la stupeur de ce dernier, cette mort va provoquer la construction d’une sorte de lien social entre les internés : par exemple, ils se retrouvent tous la main dans la main autour d’une espèce d’effigie de la morte, modelée en terre par le Slave, et en train de danser, « la danse funèbre de cette mort ». (79) Ou encore, le cercueil ayant été transporté de la maison à la grille du parc, la nuit, en cachette, subitement « maison » et « grille » sont des mots qui paraissent circuler d’un interné à l’autre sans que le psychiatre ne saisisse le sens de cette circulation. Sauf que pour lui, cette circulation fait lien (90) Il parlera ensuite d’un « abîme sexuel » entre la grille et la maison. (112)
Ce lien qui s’institue devient le signe de ce qu’il nomme une « idée fixe » qui saisit tous les membres de l’institution, même pour un interné dont le cerveau a été grillé par l’ether. (91) Le lien qui se crée entre les internés, est décrit par le psychiatre comme « une sorte de volonté commune… pour se confondre dans une collectivité véritable » autour d’une « Idée fixe, une idée funéraire » (77) venue à la place de Melle Chaivry, vivante.
Le mot « sortir », semble avoir une signification particulière. Melle de Chaivry est morte et cette « sortie » crée un « manque incomblable » dans la Villa. Après la mort de cette résidente, Korowski avait écrit un mot : « Docteur, vous avez ouvert une porte, une trop grande porte. Vous avez mal fait. » (58) Plus tard, dans l’ouvrage, le psychiatre parle d’une porte psychique qui s’est ouverte entre les 2 hommes et qui va lui permettre de profiter de la force mentale du slave pour en jouer comme d’un instrument et tenter d’en faire une sorte de double de lui-même. (124)
Le lien avec ce qui nous occupe dans ce séminaire s’organise pour ma part, avec la séance dernière autour de, je cite Allouch : « une présence dans l’absence … une présence potentialisée, intensifiée par l’absence, autrement dit ce qu’on peut faire de mieux en matière de présence… et d’amour ». C’est ce que l’auteur appelle : « Un amour sans au-delà ».
Et c’est « cette présence intensifiée par l’absence » que je suggère comme moteur de ce qui réunit, à ce moment-là les fous, « non selon une combinaison sociale quelconque et non selon leur folie, mais dans une ordonnance pieuse et dansante, pour une cérémonie religieuse, dans le rythme funèbre d’une idée fixe qui plane sur la Villa, obstinément. » (77)
La création de ce regroupement, de cette « communauté », qui se meut en dehors de ses prévisions, qui échappe à sa maîtrise est extrêmement déstabilisante pour le psychiatre, d’autant plus que les internés, dans ce groupe, ne sont plus accessibles à sa méthode musicale, grâce à laquelle il fondait leur individualité dans un Tout. (85) Au fond, d’une certaine façon du lien a remplacé la fusion.
Il y a une scène extraordinaire, très visuelle, où les internés se précipitent d’abord vers le hall, attirés par la musique que joue Kreisler, pour s’en détourner violemment : « Ils se sont tordus sur eux-mêmes, ils ont semblé pour un instant tendre vers un autre but la fureur de leur fièvre et ils se sont pressés vers un autre coin du jardin, avec cette ordonnance suprême d’un essaim d’oiseaux qui tournoient dans les airs. » (82)
Le psychiatre est anéanti, car il a l’impression que cet événement remet en cause toute sa théorie. D’un seul coup, ce n’est plus la musique qui occupe tous les fous au même moment, créant ainsi cette fameuse fusion, mais il existe un même ailleurs, qui les occupe tous au même moment (85)
Et cet ailleurs est chargé d’une grande menace puisqu’il semble porté par une « volonté nouvelle, contraire et triomphante », qui va s’opposer à la domination du psychiatre, dans une inversion des rôles.. Ainsi lorsque Le Slave rend visite au psychiatre, celui-ci le décrit comme un homme « à l’allure d’un roi… semblant traîner un manteau de richesse et supporter une couronne » (115) « un personnage royal » (120) alors que c’est lui, le psychiatre, qui est normalement « roi incontesté devant un sujet appelé dans (s)on cabinet ». (118) Et qu’attend de cette visite le psychiatre : « Le nom sexuel » du Slave (123). « Je fus Korowski », dit-il, à un moment donné. Est-ce là son nom sexuel ?
En fait ce sont deux dominations qui s’affrontent, mais pas du même ordre. Korowski est inconscient de son rôle (170) alors que le psychiatre exerce sa domination de façon très volontaire (cf la manière dont il calme les crises de ses préférés » : à propos de Lassien « Je m’approchais de lui mentalement, avec une extrême douceur. Je me suis insinué dans son organisme intellectuel » 137)
Au fil des chapitres, les descriptions concernant cette domination se précisent, dans un croisement de fils entre la « présence dans l’absence » de Melle Chaivry et Korowski , figure de plus en plus marquante de la Villa.
Le crescendo qui amène à la fin tragique l’histoire est littéralement mis en scène d’une façon extrêmement intéressante.
En effet, c’est à travers l’observation d’un certain nombre de patients que l’on voit se faire jour l’influence de plus en plus grande de Korowski, tandis que baisse de plus en plus celle du psychiatre.
« Avant, écrit le psychiatre, chacun était son propre chef et j’étais pour chacun son seul lien avec l’humanité… aujourd’hui ils subissent aveuglement des ordres qui ne viennent pas de moi (100)» et du même coup qui l’empêchent de maîtriser ce qu’il appelle « la nuée de sexualité » « le déchaînement de sexualité très vibrante » qui commence à s’emparer des « sujets même les plus asexuels » (101) En fait, ils sont sous l’empire de la même domination sexuelle : Korowski
Voilà comment il est décrit : « Cet homme n’est qu’un organisme ultra-vibrant qui détermine autour de lui, de près ou de loin, un tourbillon d’âmes affolées, et qui laisse sur sa trace une petite nuée où palpitent des désirs enflammés. » (242)
Qui est Korowski ? Description p 96/97- 119/120/121 – 126/127
C’est un homme apparemment à la personnalité très complexe, au « besoin irréfrénable d’assujettir les personnes autour de lui, de se sentir rayonner » (95)
Une très longue crise accompagnée d’hallucinations sexuelles, vécu par un résident : Lassien, écrivain, ancien officier, devenu lypémaniaque, secoue toute l’institution. « Il lui a été imposé un rêve mortel et sexuel », écrit le psychiatre. (113) Cette crise réveille la section des femmes et deux d’entre elles, dont les chambre sont à distance, vont prononcer dans un cri les mêmes paroles : « ils le tuent », « dans une identité de sensation et d’expression de la même vision » (110).
Cette description souligne la sensibilité télépathique du Slave, dans une faculté de réception et de rayonnement : il a vécu l’heure sensuelle de Lassien à travers ses vibrations et il projette les siennes (148). Comme pour les 2 femmes, « 2 hommes sont rentrés en communion absolue de vibrations… Ils ont rythmé identiquement le temps, dans des espaces divers. Et leur rythme a été sexuel » (149)
« La houle sexuelle de Korowski » n’épargne pas un autre préféré du psychiatre : de Chanviers , appartenant au 3éme sexe (une femme dans un corps d’homme) ; amoureux de Korwski, subissant son « influence colossale » après lui avoir dévoilé sa personnalité qui était celle d’une femme, et accueilli par ses sarcasmes, se tue en se mutilant les organes (175-177)
« Il a donc vécu l’heure de la mort de Melle de Chaivry, son organisme sexuel en a ressenti l’angoissante impression de vide. Comme c’est un artiste (même raté) cette impression s’est transformée en une émotion esthétique très violente, qui a catalysé toutes les sexualités capables d’éveil, dans un bouleversement aussi puissant qu’inattendu. » 153/154 158
Se dit là, la nature du lien qui l’unit aux résidents et qui unit les résidents entre eux, (150/151) jusqu’à la catastrophe finale.
Cette catastrophe est amorcée par le passage à l’acte de Lassien envers la femme aimée, qui vient de lui rendre visite toutes les semaines. D’un seul coup, il brise « la muraille infranchissable que la société avait levée entre lui et la femme aimée », il se jette sur elle « hurlant tout le désespoir des étreintes qui lui étaient défendues depuis des années (290) et c’est le début de l’orgie qui met en scène tous les internés. « L’épanouissement sexuel rayonnait dans des hurlements de fauves » (291)
Le dernier chapitre raconte l’assassinat de Korowski par le psychiatre. Une rencontre dans le couloir, Korowski demande au psychiatre de le laisser sortir, celui-ci lui répond :« Vous sortirez ce soir ». « Il a compris mon mensonge », dit le psychiatre. Korowski lui répond : » vous êtes un bourreau ». Le psychiatre sourit et Korowski s’élance sur lui. Bataille. Le psychiatre pour se défendre, l’étrangle.
Notes
Chap 20 et 21 : Korowski et son image… double dans le miroir
Chap 22. Arembert : délire du courage
Chap 23. Lyrans, il est la résultante d’un contraste entre sa volonté de paraître et son impuissance d’être. Il fait de l’automatisme symbolique (223-224) (TOC)
Chap 24. Darvila. « Mâle d’une puissance génésique tout à fait exceptionnelle » (230) rejeton dernier de 4 ou 5 générations d’aliénés. Accès d’hystéro-démonopathie
Chap 25. Description de l’arrivée de Korowski et nouvelle interprétation de son comportement par Farry, l’ami et le disciple du psychiatre : Korwski ne serait pas complètement « libéré », il est conscient de sa force et du rôle de fou qu’on lui fait jouer pour des raisons politiques ou familiales. Il a un instinct : l’instinct de la domination (256)
Chap 26. Incendie à la Villa par Faniers. Catégorie des oisifs moraux , pour lesquels tout acte représente un travail redoutable, un effort invraisemblable, une fatigue insupportable (257) Raisons héréditaires, organiques (258) (Ferry passe du côté de Korowski)
Chap 27. Description du nouvel état de Ferry qui souffre d’un dédoublement de l’attention (267) Korowski fait le tableau, en l’air, de Mme Fellerson
Chap 28. Quel est le lien qui unit toutes les personnes en train de regarder Korowski peindre Mme Fellerson ? « Le lien de l’émotion créée non seulement par les gestes d’un homme, mais surtout par la puissance intérieure vraiment énorme qui le meut, qui le force à se mouvoir qui le force à remuer les êtres autour de lui » (273)
Il crée sans cesse des situations psychiques, qui sont des tourbillons où l’on se précipite. Il remue de l’émotion. Théorie de l’émotion : provient du déséquilibre entre l’homme et son milieu et l’effort d’unification de ces 2 éléments
Description de l’artiste (276) Korowski est un artiste manqué car il ne peut pas se réaliser, il sait prendre sur lui le rythme de ses visions, il ne peut pas s’en dégager. Il se débat entre son impulsion esthétique et son impuissance (281)