Le printemps du bestiaire
séance du 31 mars 2021
« LACAN ET PAVLOV » de Virginie TILLIER et Bruno VINCENT
Jean-François JULLIEN, Les animaux rendant hommage à Darwin, eau-forte, aquatinte et pointe sèche, 2006 Reproduction avec l’aimable autorisation de l’Artiste Page Facebook : https://fr-fr.facebook.com/profile.php?id=100008571094153
Site internet : https://jullien-clement.odexpo.com/
Présentation de l’œuvre par son auteur : « Dans un graphisme réaliste et narratif, je suis parti de l’ouvrage: « De l’origine des espèces » du célèbre savant et
zoologue anglais Charles Darwin au XIXème siècle.
Sur une île des Galapagos (lieu de ses recherches), à moins que ce ne soit sur une île anglo-normande proche de l’Angleterre, des animaux aquatiques ont érigé un monument bicéphale,un Janus qui illustre par leurs ressemblances la lignée évolutive commune entre l’homme (sous les traits de Darwin), et les grands singes si proches de nous et que nous sommes en train de détruire.
Les êtres rassemblés rendent hommage à ce monument et, par leur présence,témoignent qu’ils sont tous eux aussi les chaînons de cette lente évolution biologique, et qu’ils ont droit de mener leur propre existence.
Vous trouverez des animaux naturalistes (tortue luth, coelacanthe, phoque, espadons, mouettes, baleine, poissons volants), et des hybrides fictifs de pure invention (hippocampe humain chevauchant un monstre marin, cerf à pattes palmées, phacochère ailé au corps de puce,poisson à tête humaine/autoportrait. En haut à gauche,le bon dieu bénit de sa main la scène »
I. PERSPECTIVES, OUVERTURES ET CHEMINEMENTS : FREUD, PAVLOV, LACAN
– Pavlov, ses théories, ses travaux
– Réception et fortune en France, dans le prisme physiologie/psychologie/psychanalyse
II. PAVLOV, SES TRAVAUX ET SES CHIENS DANS LE CORPUS LACANIEN
– Considérations psychosomatiques sur l’hypertension artérielle, en collaboration avec R. Levy et H. Danon-Boileau, dans L’Evolution Psychiatrique, 1953, fascicule III, pp. 397-409
– Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien, communication au Congrès de Royaumont, septembre 1960, Ecrits II, pp.273-308
– L’Acte psychanalytique. Compte-rendu du Séminaire 1967-1968, communiqué du 10 juin 1969, Autres Ecrits, pp.375-383 – Séminaire IV, La relation d’objet, 5 juin 1957
– Séminaire V, Les formations de l’inconscient, 23 avril 1958
– Séminaire VI, Le désir, 3 décembre 1958
– Séminaire X, L’angoisse, 12 décembre 1962
– Séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux, 3 et 10 juin 1964 – Séminaire XV, L’acte psychanalytique, 15 et 22 novembre 1967
– Pavlov, Freud et les chiens – Lacan et Justine
III. QUELQUES IDÉES SUR LES LACANIDÉS
EXTRAITS DE TEXTES SOURCES
ROLAND DALBIEZ, LA MÉTHODE PSYCHANALYTIQUE ET LA DOCTRINE FREUDIENNE, tome 1 Exposé, tome 2 Discussion, Paris, Desclée de Brouwer,1936 [revue détaillée de l’ouvrage par Edouard PICHON dans la Revue Française de Psychanalyse, 1936, tome 1, article « De Freud à Dalbiez », à l’occasion des 90 ans de Freud ; texte intégral accessible sur le portail de la BNF : gallica.fr]
Extraits de tome 2, chapitre 2 « le dynamisme psychique. Pavlov et Freud », pp.85-142 :
« Bon nombre des résultats obtenus par Freud peuvent être vérifiés grâce à la méthode des réflexes conditionnels, dont nous devons à Pavlov l’étude systématique »
« L’hypnose et le sommeil ne sont que des variantes d’un même processus fondamentale, l’inhibition interne. Si la théorie de Pavlov se rapporte indirectement à la psychanalyse, les recherches du grand physiologiste russe sur les névroses expérimentales rejoignent par contre ce qu’il y a de plus essentiel dans l’œuvre de Freud. »
« Les travaux de Pavlov n’en apportent pas moins aux assertions de Freud une confirmation qui équivaut sur plusieurs points capitaux à une démonstration définitive. Les névroses expérimentales du physiologiste russe sont la reconstitution par voie de synthèse des résultats que le psychiatre autrichien avait obtenus par voie d’analyse. Freud avait affirmé que les psychonévroses étaient dues à un conflit intérieur. […] Pavlov produit une névrose chez le chien en inhibant l’instinct de défense par un réflexe conditionnel greffé sur l’instinct de nutrition. On peut discuter la généralité de ce processus dans l’étiologie des névroses, on ne peut plus en contester l’existence. »
« Pavlov a constaté que les chiens réagissaient de façon très différente au choc de l’excitation contre l’inhibition [….] [il] apporte des précisions nouvelles : « Nous n’avons jamais réussi à produire une maladie nerveuse chez un chien du type compensé […] ». Cette constatation […] pose la question du rôle d’un facteur constitutionnel dans l’étiologie des psychonévroses. Freud ne nie pas l’influence de l’hérédité […] pour lui une névrose purement psychogène n’est qu’une idée-limite […] à la terminologie près, les disciples de Freud et ceux de Janet ne sont pas loin de s’entendre à condition toutefois que la causalité propre du refoulement soit admise sans contestation. »
Dalbiez revient sur Janet et pose que « les idées de Janet sur le sommeil sont en plein accord avec celles de Pavlov », ce qui lui permet d’ouvrir sur la possibilité de questionner si « le refoulement est un rétrécissement actif du champ de la conscience ?» Cette assertion ne viendrait pas, dit-il, « réduire les idées de Freud à celles de Janet », Freud conservant son originalité : « il suffit de ne pas oublier que le symptôme névrotique n’est pas constitué du refoulement […] mais par le retour du refoulé. Le rétrécissement actif du champ de la conscience n’est pathologique que dans la mesure où il permet l’envahissement du psychisme par des forces jusque-là tenues en échec. »
Il est possible, dit-il, de « conclure que la réfléxologie démontre objectivement l’exactitude du schéma freudien des névroses. Il existe des troubles psychonévrotiques provenant du choc de l’excitation contre l’inhibition. Le déséquilibre résultant de ce choc constitue la première manifestation pathologique. Il est obtenu avec plus ou moins de facilité selon la résistance constitutionnelle des sujets. Ceux du type compensé échappent complètement à la névrose. »
Dalbiez poursuit sa démonstration avec une question plus audacieuse : « […] les névroses animales résultat du conflit entre instincts de défense et de nutrition », puisqu’elles « sont capitales pour la vérification du schéma freudien du retour du refoulé », peuvent probablement « permettre de comprendre le mécanisme des troubles résultats du complexe d’Œdipe. En quoi consiste l’essentiel de la difficulté œdipienne ? En ceci, qu’un certain stimulus complexe, la mère, ne doit pas déclencher ladite réaction génitale, tandis qu’un autre stimulus complexe lui ressemblant beaucoup, une femme différente, doit déclencher ladite réaction. Ainsi présentée, la difficulté œdipienne n’est qu’un cas sexuel du choc entre l’excitation et l’inhibition de différenciation. […] l’expérience de Pavlov contribue grandement à éclaircir l’assertion de Freud. »
Dalbiez cite ensuite René Allendy (1889-1942, co-fondateur avec Laforgue et M. Bonaparte de la Société Psychanalytique de Paris en 1926, co-auteur avec Laforgue de La psychanalyse et les névroses en 1924 et de La psychanalyse en 1931) qui présenterait « les troubles œdipiens » comme « des échecs de différenciation ».
Dalbiez tente ensuite de mettre à l’épreuve les procédés de Pavlov avec un autre phénomène psychique dans lequel s’effectue également un retour du refoulé : les rêves. Il pose que « les procédés de Pavlov ne permettent d’atteindre que les deux extrémités de la chaîne : l’excitant sensoriel et la réaction sécrétoire. » L’auteur rappelle l’existence de « faits de salivation, en apparence spontanée, pendant le sommeil des chiens », que Pavlov « explique en disant que des traces d’excitation très fortes émergent dès que l’influence inhibitrice de l’écorce faiblit. En un langage différent de celui de Freud, c’est en somme la théorie de ce dernier sur le retour onirique du refoulé. […] pour Freud comme pour Pavlov, le rêve est la libération de tendances inhibées sans qu’il soit possible de préciser la nature exacte de ces tendances. »
« La trace est donc à la fois cause et objet d’une sensation proprement dite et ne s’identifie pas à la composante physiologique de la sensation, de l’image ou du souvenir. »
Dalbiez invite à « ne pas être dupe de la formule pavlovienne qui explique la salivation hypnique par la désinhibition des traces des excitations fortes. […] si la méthode physiologique permet d’étudier avec précision les sensations […] son efficacité est très réduite en ce qui concerne les images et les souvenirs. […] La psychologie doit utiliser la physiologie mais non s’y asservir. »
« L’inhibition pavlovienne qui s’irradie est une inhibition interne, tandis que le refoulement freudien correspond à l’inhibition externe. De plus, l’irradiation et l’induction pavloviennes sont des processus temporaires, tandis que la généralisation du refoulement ou la sublimation freudiennes sont des processus stables. »
« Les recherches pavloviennes permettent d’attaquer de façon plus précise le problèmes conditions du retour sublimé du refoulé. »
« Après avoir mis en parallèle les schémas de Pavlov et Freud sur le dynamisme général du symptôme névrotique, du rêve, du défoulement thérapeutique et de la sublimation, il nous faut examiner si les expériences du physiologiste russe permettent également de vérifier ce qu’on appelle les « mécanismes freudiens » : la condensation, le déplacement, la dramatisation, la symbolisation, l’élaboration secondaire. »
« La confrontation à laquelle nous venons de nous livrer, des résultats de Pavlov et Freud, nous a montré que la réfléxologie permet de justifier objectivement le schéma dynamique de la rencontre des forces psychiques et les mécanismes principaux décrits par Freud. (…) Si nous avons rapporté en détail l’expérience que l’on vient de lire, c’est dans le but d’amener le lecteur à se placer dans la perspective psychanalytique. L’étude de la réflexologie n’est jamais pour nous qu’un moyen. »
RENÉ ZAZZO, « NÉCROLOGIE D’ALEXIS LEONTIEV », dans L’année psychologique, 1982, vol.182, n°2, pp.537-544 (texte accessible sur le portail Persée : persee.fr) :
« Je n’étais pas pavlovien comme il était de rigueur à cette époque-là, et pour comble d’impertinence, je me proclamais marxiste. (…) Avec les tests, la sociométrie, la psychologie scolaire, les jumeaux, je faisais le plein de toutes les hérésies. »
Zazzo évoque l’invitation, en avril-mai 1955 à Moscou, de Fraisse, Piaget et lui à l’Académie des Sciences Pédagogiques : « première visite officielle de psychologues occidentaux en Russie soviétique. » Les hôtes étaient Leontiev, Luria, Rubinstein, Smirnow et teplov. Lors de la dernière réunion, le 2 mai, Leontiev dit à Zazzo : « Nous comptons sur vous pour aider nos camarades français à mieux comprendre ce que nous faisons et corriger certaines de leurs attitudes […concernant notamment] le problème de la psychologie et du pavlovisme. » Il pouvait effectivement compter sur moi [écrit Zazzo] : de retour à Paris, je présentai un rapport à mes camarades et ce rapport fut publié en 1856 dans La Raison, une revue du Parti Communiste Français. Le tournant était pris en France, dans le petit monde des psychologues communistes : Pavlov n’était plus la seule référence. Des horizons nouveaux s’ouvraient et les psychologues soviétiques, en leur diversité, nous incitaient à de libres débats. »
Puis, Zazzo évoque la mise en présence, en 1962 en France, de Leontiev et Lacan : Lacan avait exprimé son envie d’être invité en URSS « pour faire connaître ce qu’est vraiment la psychanalyse, organiser un séminaire ». Zazzo en parle à Leontiev, dont la réaction est « réservée mais avec une nuance de curiosité » : « dans une maison amie, (…) ils furent inviter à dîner – funèbre dîner (…) une étrange économie de paroles et de mouvements » entrava les possibilités d’une véritable rencontre et d’un échange intellectuel, en raison d’un point de discorde autour des notion de « cosmos » et de « cosmonautes »…
JEAN-HENRI FABRE (1823-1915), SOUVENIRS ENTOMOLOGIQUES, 1879-1907 (texte intégral sur e-fabre.com): au sujet de « l’ignorance de l’instinct » évoquée par Lacan, Séminaire XV : notice consacrée au Sphex (1ère série, chapitre 12, 1879) :
« Le Sphex vient de nous montrer avec quelle infaillibilité, avec quel art transcendant, il agit guidé par son inspiration inconsciente: l’instinct; il va nous montrer maintenant combien il est pauvre en ressources, borné d’intelligence, illogique même, au milieu d’éventualités s’écartant quelque peu de ses habituelles voies. Par une étrange contradiction, caractéristique des facultés instinctives, à la science profonde s’associe l’ignorance non moins profonde. (…)
Pour l’instinct, rien n’est difficile, tant que l’acte ne sort pas de l’immuable cycle dévolu à l’animal ; pour l’instinct aussi, rien n’est facile si l’acte doit s’écarter des voies habituellement suivies. L’insecte qui nous émerveille, qui nous épouvante par sa haute lucidité, un instant après, en face du fait le plus simple, mais étranger à sa pratique ordinaire, nous étonne par sa stupidité. (…)
Essayons quelques expériences pour apprendre comment se comporte l’insecte lorsqu’on fait naître des circonstances nouvelles pour lui. » « Savoir tout et tout ignorer, suivant qu’il agit dans des conditions exceptionnelles, telle est l’étrange antithèse que nous présente l’insecte. (….)
L’instinct sait tout dans les voies invariables qui lui ont été tracées ; il ignore tout, en dehors de ces voies. Inspirations sublimes de science, inconséquences étonnantes de stupidité, sont à la fois son partage, suivant que l’animal agit dans des conditions normales ou des conditions accidentelles. »
ROLAND BARTHES FRAGMENTS D’UN DISCOURS AMOUREUX – ECRIRE – passage dans lequel s’entremêlent l’écrit de Barthes et celui (ici en italique) de Jacob BOEHME (mort en 1624) :
« Le langage de l’Imaginaire ne serait rien d’autre que l’utopie du langage ; langage tout à fait originel, paradisiaque, langage d’Adam, langage « naturel, exempt de déformation ou d’illusion, miroir limpide de nos sens, langage sensuel » : « Dans le langage sensuel, tous les esprits conversent entre eux, ils n’ont besoin d’aucun autre langage, car c’est le langage de la nature. » »
PISTES BIBLIOGRAPHIQUES
Sur Pavlov et Lacan
AUDEBERT Maurice, « La pensée Pavlov », Raison présente, n°103, 3e trimestre 1992, pp. 166-168
RICHARD Jean-François, articles « Pavlov » et « Conditionnement » dans l’Encyclopedia Universalis
VALAS Patrick, « La psychosomatique, un fétiche pour les ignorants », article de 2014 accessible sur : http://www.valas.fr/La-psychosomatique-Un-fetiche-pour-les-ignorants,012
WALLON Henri, « L’associationnisme de Pavlov », Enfance, tome 16, n°1-2, 1963, Buts et méthodes de la psychologie, pp.51-58https://www.planeteanimal.com/le-chien-de-pavlov-en-psychologie-experience-detaillee-2170.html
Sur Freud et ses chiens
BRAVO CENICEROS Elena, « Los encatadores compañeros de Freud », Dossier Animal, demasiado animal, e- dicciones Justine de l’Ecole Lacanienne de Psychanalyse
DEPRUND Marie-Christine, « Jo Fi un chien sur le divan » dans Le chat de Schrödinger et autres animaux célèbres, éditions Pygmalion, 2016
Sur la psychanalyse et le chien
BROHM Jean-Marie, « Le chien, une figure de compagnon polyvalent », Topique, 2018/1, n°142, pp.31-42
ELIES Christel et SCHAUDER Silke, « La relation de l’homme au chien familier : symptôme de sa dynamique psychique ? », Topique, 2018/1, n°142, pp.53-67
KAMIENIAK Jean-Pierre, « L’animal, le psychanalyste et l’analysant », Topique, 2018/1, n°142, pp. 79-91 MEDART Christophe, « Qu’est-ce que ces chiens sont venus foutre là ? », Santé mentale, février 2021, pp. 38-43 SOKOLOWSKY Laura, « Le meilleur ami de lom », La Cause du Désir 2016/2, n°93, pp.13-16
WILLEMS Sandrine, « L’anomal : le plus proche, le plus lointain », Topique, 2018/1, n°142, pp.7-14