Le bestiaire de Lacan
Dominique-Anne Offner
« Andamiajeres lacanianos nómades », on-line,
organisé par Eduardo Bernasconi et Stella Ocampo à Buenos Aires.
Séance du 20 mai 2020
http://meet.jit.si/andamiajeslacanianosnomades
Buenas noches,
Muchas gracias a Eduardo BERNASCONI por la invitaćion.
I No sé cuándo podré estar entre vosotros, asi que vamos a tomar lo que viene !
Gracias tambien a Stella Ocampo, sin quien nada se hace.
Voy a continuar en francés y desde ahora, gracias a los que van a traducir.
Le hérisson fait partie de la genèse du bestiaire. Évidemment, quand Jean Allouch nous en a parlé en juin 2019, j’étais encore loin d’imaginer que je passerai mon été à traquer le moindre animal dans le séminaire de Lacan. Pendant une bonne semaine, j’ai vécu dans une sorte de flottement, interrompu de temps en temps par cette question « Pourquoi moi ? », et je m’y suis mise.
De novembre 1953 à juin 1978, j’ai pu relever la mention de plus de cent cinquante animaux, que j’ai classé par ordres et espèces, ce qui est le propre d’un bestiaire. La tradition des bestiaires, dans la littérature, est ancienne et évolue considérablement avec l’évolution des sciences. À l’époque de l’Amour Courtois, le bestiaire inclut les animaux imaginaires, dont la licorne, le griffon et quelques autres.. Pour parler du désir, Lacan fera référence à « La Dame à la licorne », dont la devise était « À mon seul désir ».
À partir du moment où il s’agit d’observer les animaux dans leur biotope, le bestiaire est indissociable de Buffon (1707 – 1788) qui a écrit de nombreux volumes sur les animaux , et sur l’ensemble des connaissances scientifiques disponibles à l’époque des Lumières. Au fil du temps, de nombreux courants s’organisent autour de l’observation et la classification des animaux. Aujourd’hui, on parle plus volontiers de « Classification du vivant » et on se réfèrera aux travaux de Guillaume LECOINTRE, chercheur au C.N.R.S. et enseignant au Museum d’Histoire Naturelle, à Paris.
Pour des raisons d’organisation, je vais reprendre un texte que j’ai transmis à Eduardo tout-à-l’heure. Il s’agit de la première séance du séminaire que je tiens cette année à Strasbourg.
Du fait d’avoir le texte sous les yeux, Eduardo BERNASCONI sera plus à même de faire la traduction simultanée.
Bestiaire : En littérature, un bestiaire désigne un manuscrit du Moyen Âge regroupant des fables et des moralités sur les « bêtes », animaux réels ou imaginaires. Par extension, on appelle bestiaire une œuvre consacrée aux bêtes.
Par métonymie, le bestiaire d’un auteur ou d’un ensemble d’œuvre désigne les animaux mentionnés par l’auteur ou dans ces œuvres.
Ce mot me fait penser à Buffon, dont j’ai pu feuilleter des reproductions dans mon enfance. Buffon, c’est dire le Siècle des Lumières. D’autres que lui se sont intéressés à une étude et une description systématique de chaque animal connu à cette époque. Il existe plusieurs approches dans la classification, ainsi que des courants de pensées bien différenciés. Buffon est considéré comme naturaliste.
J’ai opté pour une classification simple, par ordre et par espèces. Ce document n’est pas fait pour une approche scientifique des animaux. Au-delà de ce choix, la classification la plus actuelle est celle de Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader, « Classification philogénétique du vivant », Tomes 1 & 2, Paris, 2013, Ed. Belin.
Bestiaire, ysopets, avionnets, fables, contes.
La racine latine du bestiaire est bestiarius. Celle de bête est bestia. Au XIè siècle, l’ancien français dit beste. Dans l’Antiquité romaine, le bestiaire est celui qui combattait contre les fauves. La veille de leur combat, on servait aux bestiaires romains un repas somptueux, parce qu’il était peut-être le dernier. Plus tard, le terme apparait en tauromachie, où il désigne le torero.
Dans la littérature
Au Moyen-Âge, le bestiaire contenait aussi les animaux imaginaires. Les animaux sont alors classés en cinq catégories : quadrupèdes (incluant des animaux fantastiques comme la licorne, le manticore, le pard) oiseaux (dont le caladre, le phénix, le griffon), poissons (baleines, dauphins, évêque de mer, sirènes, serpents (incluant les dragons), « vers » (insectes, petits rongeurs, mollusques). Les animaux domestiques comprennent les animaux de la ferme ou ceux des ménageries mais incluent aussi les animaux vivant autour de la domus, la « maison » (pie, corbeau, renard, belette, souris, rat).
De manière générale, le Moyen Âge européen correspond à une dépréciation de la plupart des animaux sous l’influence des autorités chrétiennes, à travers l’interdiction des cultes et des rituels païens liés à ces derniers. Les rituels et traditions païens célébraient les saisons, la nature, la position des astres et les animaux, et furent peu à peu remplacés par des fêtes chrétiennes célébrant les saints dont les animaux sont les attributs, les compagnons, ou les esclaves.
La foi chrétienne médiévale, elle même imprégnée des récits de Saint Augustin, prônait la supériorité de l’homme sur les animaux considérés selon lui comme des êtres inférieurs et imparfaits. Dans la Bible, Dieu a en effet créé l’homme « afin qu’il règne sur tous les animaux ». Il existe toutefois un autre courant, plus discret parmi les théologiens , qui consistait à mettre les animaux en relation avec Dieu et le Christ, et à voir dans les habitudes de ces derniers des manifestations divines, comme la résurrection et le repentir . De plus, la culture chrétienne peut donner une valeur à un animal alors que la culture populaire, imprégnée de mythes païens et de folklorique, donner une valeur opposée à ce même animal : les bestiaires qui sont des traités moralisés sur les propriétés des animaux, montrent cette ambivalence. L’Église influe sur la hiérarchie des animaux, l’ours roi des animaux au haut Moyen Âge (animal des traditions orales païennes) étant remplacé par le lion (animal des traditions écrites chrétiennes) au XIIIe siècle. L’Église tient notamment les animaux pour responsables de leurs actes, ce qui explique les procès d’animaux jugés selon une échelle de valeur inspirée des sept péchés capitaux.
Dans la Grèce Antique
Du côté de la Grèce Antique, il n’existe pas de bestiaire à proprement parler. L’observation des animaux existe néanmoins, mêlée aux animaux imaginaires et aux mythes du Mont Olympe.
- Homère est un poète grec antique qui a vécu pense-t-on au VIII ème siècle av. J.-C. On le présente comme un aède, c’est-à-dire un poète chanteur nomade qui arpentait le bassin méditerranéen en récitant ses poèmes. On suppose qu’il est l’auteur de L’Iliade et L’Odyssée, deux textes colossaux de la littérature grecque : presque 16 000 vers pour le premier qui raconte un épisode de la guerre de Troie et plus de 12 000 vers pour le second qui narre les aventures d’Ulysse de retour à Ithaque. Ces deux œuvres ont connu un retentissement majeur dans le monde hellénique de l’Antiquité. La question homérique, à savoir si le poète est bien l’auteur unique de cette œuvre monumentale, voire même s’il a bien existé a commencé à se poser au 17ème siècle. On penche maintenant à considérer que L’Iliade et L’Odyssée sont le fruit d’une tradition orale qu’Homère aurait recomposée d’une façon créative qui lui est propre.
- Esope (VII e s. Avant J-C).
- Aristophane Aux alentours de 445 avant J.-C., Aristophane voit le jour dans le dème de Cydathénéon, aux alentours d’Athènes. Selon les historiens, il serait mort à Athènes, entre 385 et 375 avant J.-C. C’est le premier dramaturge connu à offrir des comédies au public grec. Il en compose plus de quarante, dont onze parviendront jusqu’à nous, parmi les plus connues : Les Acharniens (-425), Les Cavaliers (-424), Les Nuées (-423), Les Guêpes (-422), La Paix (-421), Les Oiseaux (-414), Lysistrata (-411), Les Grenouilles (-405), et L’Assemblée des femmes (-392).
- Eschyle : la tortue tombée du ciel. Eschyle, né à la fin du VIème siècle avant JC, est un héros de la guerre contre les Perses. Il est surtout le plus ancien des trois grands tragiques grecs et le père de la tragédie moderne. On lui doit notamment les pièces Les Perses et L’Orestie. En 456 avant JC, deux ans après son arrivée en Sicile, Eschyle meurt dans des circonstances mystérieuses. L’historien romain Valère Maxime raconte dans ses Actions et paroles mémorables qu’un aigle aurait fait tomber une tortue sur la tête chauve du dramaturge, comme il l’aurait fait sur une pierre pour la briser et manger la chair. Le choc a entraîné le décès d’Eschyle. Le témoignage est peu fiable mais la légende est restée jusque dans Horoscope de Jean de La Fontaine.
- Phèdre (vers 10 av. J.C.-après 54), affranchi de l’empereur Auguste, est l’auteur de 123 fables imitées d’Esope, dont un certain nombre contiennent des allusions politiques.
Dans l’Antiquité Latine
- Ovide
En latin Publius Ovidius Naso, né en 43 av. J-C.à Sulmone dans le centre de l’Italie et mort en 17 ou 18 ap J-C., en exil à Tomis (l’actuelle Constanţa en Roumanie), est un poète latin qui vécut durant la période qui vit la naissance de l’Empire romain. Ses œuvres les plus connues sont L’Art d’aimer et les Métamorphoses.Son surnom Naso lui vient de son nez proéminent. Il naît un an après l’assassinat de Jules César,, est adolescent lorsqueAuguste s’empare du pouvoir pour transformer la République en Empire, et meurt trois ans après la mort de ce premier empereur.
Les « Métamorphoses » sont des poèmes épiques d’Ovide, dans lequel il a réuni environ 250 mythes et légendes. C’est un ouvrage de près de 12 000 vers regroupés en quinze livres. Les « Métamorphoses » ont connu un grand succès et ont inspiré de nombreuses œuvres artistiques à travers les siècles. Elles racontent des histoires de transformations d’hommes, de héros ou dieux en animaux ou plantes.
Les histoires peuvent contenir des morales, par exemple avec Narcisse quand il a vu son reflet et qu’il est tombé amoureux de lui même.
- Pline l’Ancien
L’ « Histoire naturelle » (en latin « Naturalis Historia ») est une œuvre en prose de 37 livres de Pline l’Ancien, qui souhaitait compiler le plus grand nombre possible d’informations et de culture générale indispensables à l’homme romain cultivé. Publiée vers 77, du vivant de son ami l’empereur Vespasien, elle est dédiée à son camarade de camp Titus, Pline étant alors un officier de cavalerie.
Pline avait conscience que la vie d’un homme était éphémère et que le bonheur n’existait pas. Il considérait que l’homme devait utiliser le temps à bon escient afin de ne pas réduire sa capacité d’apprendre. Cette œuvre révèle que Pline est un stoïcien mêlé d’un sceptique. Elle reflète la vision romaine du monde et de la politique impériale de l’époque.
Cette monumentale encyclopédie, dans laquelle Pline a compilé le savoir de son époque, a longtemps été la référence en matière de connaissances scientifiques et techniques. Pline y a également recueilli des éléments merveilleux et des miracles, tout en gardant une distance par rapport aux faits rapportés. Pour la réaliser, Pline dit avoir consulté 2 000 ouvrages dus à 500 auteurs différents (la plupart des traités originaux sont perdus). Il rapporte aussi des techniques expérimentées au cours de ses campagnes militaires, comme la meilleure façon pour un cavalier de lancer son javelot. Selon son neveu Pline le Jeune, sa méthode de travail consistait à prendre des notes tandis qu’un de ses esclaves lui lisait un livre à haute voix.
Incipit de Naturalis historia traduit par Cristofo Landino, en l’édition de 1489.
Bien que cette œuvre soit la plus complète parvenue de l’Antiquité latine, il n’en reste aucune copie sur papyrus, tout juste quelques fragments sur parchemin du ve siècle et des extraits du VIIIe siècle. Il faut attendre le XIIe siècle avant de voir apparaître une version intégrale puis une première publication très peu connue en 1469 par Nicolas Jenson. Une seconde publication est imprimée en 1470 par Sweynheym et Pannartz à partir de la publication de Giovanni Andrea Bussi , évêque d’Aléria. Cette version est considérée comme le point de départ de la tradition textuelle. Poussé par Jean Garnier, le jésuite Jean Hardouin prend en charge d’éditer l’œuvre de Pline pour la collection Ad usum Delphini du duc de Montausier, une tâche qu’il achève en cinq ans (Paris, 1685, puis 1723). Au XIIe siècle, marqué par la révolution scientifique, les savants prennent de la distance vis-à-vis de cet ouvrage, mais au XIIIe siècle, Buffon en fait son modèle pour son œuvre majeure, l’Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roy, ce qui lui vaut d’être qualifié de «Peine de Montbard ». Aux XIXe et XX e siècles, l’œuvre de Pline a perdu son intérêt scientifique, mais est activement étudiée par des historiens et érudits, ce qui explique notamment les deux cents éditions produites à la fin du XIX e siècle.
Son intérêt perdure au XXIe siècle, comme en atteste l’édition critique en Pléiade en 2013 ou encore sa réédition dans la traduction d’Émile Littré aux Belles lettres en 2017.
Comment les textes de Pline l’ancien nous sont parvenus ?
Vers le milieu du IIIè siècle, un résumé des parties géographiques de l’œuvre de Pline est réalisé par Caïus Julius Solinus et au début du IVe siècle, les passages médicaux sont réunis dans les Medicina Plinii. Au début du VIIIe siècle, Bède le Vénérable possède un manuscrit de toute l’œuvre. Au IXe siècle, Alcuin envoie à Charlemagne un exemplaire des premiers livres (Epp. 103, Jaffé) et Dicuil réunit des extraits des pages de Pline pour sa mesure de la terre (Mensura orbis terrae, C,825).
Le nombre de manuscrits restants est d’environ 200, mais le plus intéressant d’entre les plus anciens, celui de la Bibliothèque d’État de Bamberg (Msc.Class.42), ne contient que les livres xxxii à xxxvii. Robert de Cricklade, supérieur du prieuré de Sainte Frideswide à Oxford, adresse au roi Henry II un Defloratio, contenant neuf volumes de sélections prises d’un des manuscrits de cette classe et qui est, depuis peu, reconnu comme donnant parfois la seule indication valable du texte initial. Parmi les manuscrits plus anciens, les codex Vesontinus, jadis à Besançon (XIè siècle), sont séparés en trois parties, désormais une à Rome, une à Paris, et la dernière à Levde (où il existe aussi une transcription du manuscrit total).
Dans l’Antiquité Egyptienne
Le « Physiologos », qualifié de « bestiaire des bestiaires », est un recueil de brefs récits vraisemblablement rédigé en Égypte probablement dans la région d’Alexandrie. Le manuscript original n’est pas parvenu jusqu’à nous, mais les citations de cet ouvrage permettent de le dater entre le IIe siècle et le IVe siècle. On pense que le manuscrit a été traduit dès le IVe siècle, les plus anciens manuscrits en latin remontent au IXe siècle.
Concernant les oiseaux, des éléments de « De avibus » de Hugues de Fouilloy sont intégrés à certains bestiaires anglais.
Au Moyen-Âge et dans les siècles suivants
- La littérature médiévale de la fable est connue sous le nom d’Ysopets et d’Avionnets (ceux de Marie de France (1154 – 1189) par exemple). Pas toujours fidèles à la tradition antique, ils témoignent d’un autre choix littéraire que celui de la simple compilation de sources : il s’agissait là d’une littérature vive, qui, à terme, pouvait faire évoluer considérablement le genre, en exploitant ses possibilités actualisées.
- Etienne Perret et Jean Baudoin, eux, ont exploité la possibilité inverse : celle qui consiste à utiliser l’image, en développant le discours moralisant destiné à « décoder » le sens de celle-ci. Ils s’inscrivent dans la tradition de littérature édifiante des Adagia d’Erasme (1501), prolongée par les Fables héroïques d’Audin en 1648, ou encore par Patru en 1669. Etienne Perret publie, d’abord en 1578 chez Plantin à Anvers, une traduction partielle en français du recueil de fables flamandes d’Edouard de Dene (1567)
- LA FONTAINE et PILPAY : « J’en dois, dit-il, la plus grande partie à Pilpay, sage Indien. Son livre a été traduit en toutes les langues. Les gens du pays le croient fort ancien, et original à l’égard d’Ésope, si ce n’est Ésope lui-même sous le nom du sage Locman ».
Cf http://dictionnairedesorientalistes.ehess.fr/document.php?id=360
Pilpay (ou Bidpaï) est un brahmane légendaire du IIIè Siècle, auquel on attribue des fables inspirées du Panchatantra, qui avait été mis à la mode en 1644 par la traduction de Gilbert Gaulmin* intitulée Pilpay. Livre des lumières ou Conduite des rois, composé par le sage Pilpay Indien, traduit en français par David Sahid d’Ispahan, ville capitale de la Perse (le recueil en question est la traduction en pehlevi, langue de la Perse, de la version arabe du recueil sanskrit d’apologues connu sous le titre de Pantchatantra).
Locman pour sa part est un personnage légendaire arabe, cité par le Coran, auquel on attribue un recueil de quarante et une fables, imitées d’œuvres grecques de Syntipas et d’Ésope.
La Fontaine identifie abusivement les deux Orientaux à Ésope pour signifier l’heureuse convergence philosophique et esthétique des deux mondes, et engranger ainsi le double bénéfice de l’ascendance humaniste grecque et de l’exoticité (plaisante et philosophique) arabo-indienne. Les sujets inspirés de la tradition orientale ne sont néanmoins à l’origine que d’une vingtaine de fables. Parmi les plus connues figurent entre autres « la Tortue et les deux canards », La laitière et le pot au lait », « Les Poissons et le cormoran » « le Chat et le rat » ou encore « La Souris métamorphosée en fille ». Une grande partie provient de Kalîla wa Dimna, un recueil de fables animalières à la destinée étonnante.
Au VIIIe siècle, Ibn al-Muqaffa’ traduit en arabe le Pantchatantra ou fables de Bidpaï venues d’Inde par la Perse, sous le titre du Livre de Kalila et Dimna.
Le nom de Bidpaï est assez connu, grâce à La Fontaine. Bidpaï est le nom d’un philosophe indien, auquel les Persans et les Arabes ont attribué un recueil d’apologues intitulé par eux, Kalila et Dimna, recueil très célèbre en Orient, et qui a été traduit en latin dès le XIIIe siècle de notre ère.
L’invention de l’apologue se perd dans la nuit des temps. L’idée de cacher un précepte utile sous le voile de l’allégorie, et de rendre plus sensible une vérité morale en l’appuyant sur une fiction ingénieuse, se retrouve chez tous les peuples de l’antiquité ; mais c’est en Orient, et peut-être particulièrement dans l’Inde, qu’il faut chercher l’origine de cette invention.
Bidpaï est celui qui fit connaître dans tout l’Orient et plus tard en Occident ce genre de fables mettant en scène des animaux pour parler aux humains. En effet, dans un pays où parmi les croyances se trouve le dogme de la métempsychose, où l’on attribue aux animaux une âme semblable à celle de l’homme, il était naturel de leur prêter les idées, les passions et le langage de l’espèce humaine…
C’est sur cet exemple que s’appuiera La Fontaine pour fonder sa propre pratique de la fable : Phèdre, comme Socrate, avait en effet « considéré comme soeurs la poésie et nos fables ».
Cf https://gallica.bnf.fr/blog/07032018/les-sources-antiques-des-fables-de-la-fontaine?mode=desktop
Les fonctions de l’apologue, petit récit visant essentiellement à illustrer une leçon morale.
Une fonction morale
LE SOUCI DIDACTIQUE
Conformément à son intention d’instruire en plaisant, l’apologue articule traditionnellement un récit et une morale qui vient l’expliciter, celle-ci pouvant revêtir un caractère religieux. C’est le schéma classique des fables de La Fontaine ou des paraboles (saint Luc, mais aussi Saint-Simon). Usant d’une comparaison, La Fontaine écrit dans la Préface de ses Fables :
« Le corps est la fable ; l’âme, la moralité. »
Ce mode de composition peut toutefois être modifié. Diderot, qui détourne le genre en le mettant au service d’une cause jugée immorale, s’abstient de conclure, tout en conservant l’idée du caractère plaisant de l’apologue.
L’EFFACEMENT DE L’ENSEIGNEMENT MORAL
Dans les formes modernes, la morale tend à disparaître pour diverses raison. L’explicitation finale peut en effet apparaître esthétiquement lourde, insistante. Le lecteur moderne préférera tirer lui même la leçon du récit. En outre, dans un monde où la morale n’est plus consensuelle, où les moeurs autorisent diverses opinions sur les sujets les plus graves, l’apologue ne peut espérer imposer une morale. Enfin, l’extension de l’apologue à des domaines très divers (politique, histoire, voire métaphysique) en fait davantage un instrument de réflexion et de débat qu’un outil d’endoctrinement autoritaire. À cet égard, le texte de Camus, qui met en scène de manière critique un prêtre voulant imposer à ses fidèles son interprétation de la peste, est un contre-exemple très révélateur. Le roman, dans son ensemble en effet, apparaît au contraire comme un long apologue où s’affrontent des convictions différentes, sans conclusion de l’auteur. « La peste »
Une fonction critique
LA SATIRE DES MOEURS
La vocation didactique de l’apologue conduit souvent à en faire un usage critique. C’est par la dénonciation d’un vice, des imperfections d’une société que l’apologue va tenter de faire passer son enseignement. Ainsi, certaines fables de La Fontaine comme « Le Loup et l’Agneau », « Les Animaux malades de la peste » dénoncent implicitement dans leur morale les injustices de l’époque. De manière indirecte, l’apologue se fait alors satire des moeurs ou du pouvoir.
Dans les récits utopiques, la critique implicite devient plus systématique. En offrant en miroir la peinture d’une société idéale, elle fait ressortir par contraste les imperfections, les inégalités, les absurdités de l’ordre existant; elle invite le lecteur à réfléchir et à prendre du recul par rapport à ce qui peut lui sembler au premier abord évident. Dans les contre-utopies, la satire se fait plus explicite, puisque celles-ci sont souvent la transposition dans l’imaginaire de sociétés réellement existantes et ne peuvent se comprendre qu’en référence au contexte historique. Ainsi, le monde d’Orwell est inséparable du totalitarisme, en particulier de sa version stalinienne : « La ferme des animaux ».
UN MOYEN DE REFLEXION
L’apologue peut paraître, à l’origine, un genre rigide, dans la mesure où l’imposition finale d’une morale semble fermer sur elle-même sa signification et figer ainsi en une image définitive son enseignement. Dans ses versions anciennes, la partie narrative est en effet souvent brève, sèche, évitant tout ornement ou effet de style (Tite-Live, Saint Luc).
Mais l’apologue se révèle pourtant capable d’évolution et de souplesse. La Fontaine, déjà, en augmentant la part du récit et en lui adjoignant tous les agréments du pittoresque, transforme le genre. En outre, dans la mesure où les récits ont souvent vocation à être exemplaires, ils présentent une structure qui les rend propres à diverses interprétations ou réemplois.
Ainsi Saint Simon fait-il un usage inattendu du genre de la parabole. De même Rabelais renouvelle-t-il la « fable des membres et de l’estomac » en lui conférant un sens différent où les rapports de hiérarchie ont laissé place à la conception plus égalitaire d’un échange généralisé. À cet égard, l’apologue peut être rapproché du récit mythique, qui, lui aussi, peut être indéfiniment réinterprété.
Les contes
En réalité, ni Charles Perrault ni même les Frères Grimm ne sont à l’origine des contes de fées. Prenez Cendrillon par exemple, la toute première version remonte au IXème siècle Av. J.C, en Chine, mais ce n’est qu’en 1634 qu’elle arrive en Europe, retranscrite par l’auteur italien Giambattista Basile. Les contes de fées, populaires à l’époque de Perrault, trouvent leur origine dans la tradition orale. Basile est considéré comme le premier auteur à avoir mis ces contes par écrit et les avoir rassemblés dans son recueil « le Pentamerone » , où se trouvent les premières versions de la Belle au bois dormant, du Petit Chaperon Rouge et du Chat Botté. Cependant, si Charles Perrault, Hans Christian Andersen et les frères Grimm sont considérés comme les véritables auteurs des contes, c’est parce qu’ils ont chacun revisité les histoires à leur manière en les adaptant à un plus jeune public.
Les contes de fées et leur morale participent à l’éducation des enfants, ils leur inculquent des valeurs, leur apprend à distinguer le bien du mal et les gentils des méchants.
Nous avons pris la décision de nous retrouver la semaine prochaine, mercredi 27 mai, à 21h., heure de Buenos Aires, pour la suite de cette présentation et pour d’autres questions qui se poseraient.