Présentation du Bestiaire de Lacan – 2
Dominique-Anne Offner
« Andamiajes lacanianos nómades »
a cargo de Eduardo Bernasconi y Stella Ocampo
Traducción simultánea : Francisco Alsina
Buenos Aires, miercoles 27 de mayo.
http://meet.jit.si/andamiajeslacanianosnomades
¡Buenas noches, ! Espero que su semana haya sido buena!
Gracias por esta segunda sesión.
Avant toute chose, j’aimerai revenir sur ce qui différencie le bestiaire de la ménagerie.
Ménagerie :
nom féminin (de ménage)
- Ensemble d’animaux de toutes espèces réunis pour l’étude ou pour la présentation en public.
- Lieu où se trouvent ces animaux, où se fait la présentation.
Des synonymes seraient : jardin zoologique – parc zoologique – zoo
Quelques ménageries célèbres :
- La ménagerie du Jardin des Plantes à Paris.
- La ménagerie du Cirque Pinder, sillonnait la France dans les années 60 et faisait la joie des enfants et des adultes.
- La ménagerie de Sarah Bernhardt , à Belle-Ile-en-Mer, en Bretagne.
Le bestiaire est un écrit de classification des animaux par ordres, par espèces et par ordre alphabétique. Les animaux n’y prendrons vie que si vous les parlez. C’est en quelque sorte un réservoir de signifiants.
Chaque mention d’animal est suivie de la référence du séminaire où il est cité, ainsi que de la date de la séance du séminaire où vous le trouverez mentionné. Et pour être vraiment précise, le référencement démarre à la séance du 18 novembre 1953 et termine à la séance du 15 mai 1979.
En fin de document, une autre entrée possible, avec la mention des animaux par ordre alphabétique uniquement.
Ce qui est clair, c’est que certains animaux ont un statut particulier chez Lacan, le hérisson. D’arriver à mettre un hérisson dans sa poche n’est pas aussi aisé que ça : pas étonnant non plus qu’il lui pisse dessus. Et une autre, sa chienne Justine, dont il fait de nombreuses observations, dont il nous rapporte des détails particuliers :
« Le signifiant, à l’envers du signe, n’est pas ce qui représente quelque chose pour quelqu’un, c’est ce qui représente précisément le sujet pour un autre signifiant. Ma chienne est en quête de mes signes et puis elle parle, comme vous le savez. Pourquoi est-ce que son parler n’est point un langage ? Parce que justement je suis pour elle quelque chose qui peut lui donner des signes, mais qui ne peut pas lui donner de signifiant. La distinction de la parole, comme elle peut exister au niveau préverbal, et du langage consiste justement dans cette émergence de la fonction du signifiant.
Séminaire « L’identification », séance du 6 décembre 1961. »
Le bestiaire dans le Séminaire de Lacan :
De la même façon que nous avons pu voir une progression dans l’élaboration du bestiaire au fil du temps, un certain nombre d’éléments discursifs apparaitre, nous retrouvons dans le cours des vingt-six ans du séminaire, les mêmes éléments être utilisés par Lacan, plus justement être cités ou commentés.
LA NOMINATION DES ANIMAUX
Ce caractère très particulier de certaines parties anatomiques qui spécifient tout à fait un secteur de l’échelle animale, celui qu’on appelle précisément, non sans raison… c’est même assez curieux qu’on se soit aperçu du caractère tout à fait essentiel, signifiant à proprement parler de ce trait, car enfin il semble qu’il у а des choses plus structurales que les mammes pour désigner un certain groupe animal qui а bien d’autres traits d’homogénéité par où on pourrait le désigner. On а choisi ce trait, et sans doute n’a-t-on pas eu tort. Mais c’est bien un des cas où l’on voit enfin que l’esprit d’objectivation n’est pas lui-même sans être influencé par la prégnance des fonctions psychologiques, je dirai, pour me faire entendre de ceux qui n’ont pas encore compris, de certains traits.
Et la prégnance qui n’est pas simplement significative, qui induit en nous certaines significations où nous sommes les plus engagés. Vivipare, ovipare : division vraiment faite pour embrouiller, car tous les animaux sont vivipares puisqu’ils engendrent des œufs dans lesquels il у а un vivant, et tous les animaux sont ovipares puisqu’il n’y а pas de vivipare qui n’ait viviparé à l’intérieur d’un œuf.
Séminaire « L’angoisse », séance du 6 mars 1963.
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C’est pas dans l’idée de l’inconscient ! C’est dans l’idée que l’inconscient ex-siste – écrit, comme je l’écris – c’est-à-dire qu’il conditionne le Réel, le Réel de cet être que je désigne du parlêtre. Il nomme les choses… comme tout à l’heure je l’évoquais, là, à propos de ce batifolage premier de la Bible au Paradis Terrestre …il nomme les choses pour ce parlêtre, c’est-à-dire cet être qui lui-même est une espèce animale, mais qui en diffère singulièrement. Il n’est animal qu’en ceci – parce que ça veut rien dire animal, hein, ça ne veut rien dire que de caractériser l’animal par sa façon de se reproduire : sexué ou pas sexué, un animal c’est ça, c’est ce qui se reproduit.
Seulement, comment est-ce que cet animal est parasité par le Symbolique, par le bla-bla ? Oui, là il me semble – il me semble mais c’est peu probable – que je me distingue des gens de la même espèce animale, qui de mémoire d’homme – c’est le cas de le dire – savent qu’ils parlent mais n’en font pas état exprès.
Séminaire « R.S.I. », séance du 11 mars 1975.
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Veillez pourtant à n’aller pas à dire que le sexe n’est rien de naturel. Tâchez plutôt de savoir ce qu’il en est dans chaque cas : de la bactérie à l’oiseau – j’ai déjà fait allusion à l’un et à l’autre – de la bactérie à l’oiseau, puisque ceux-là ont des noms. Remarquons au passage que dans la création dite divine… divine seulement en ceci qu’elle se réfère à la nomination …la bactérie n’est pas nommée. Et qu’elle n’est pas plus nommée quand Dieu, bouffonnant l’homme – l’homme supposé originel – lui propose de commencer par dire le nom de chaque bestiole.
De ce premier – faut bien le dire – déconnage, nous n’avons de trace qu’à en conclure qu’ADAM… comme son nom l’indique assez, c’est une allusion, ça, à « la fonction de l’index » de PEIRCE …qu’ADAM était – selon le joke qu’en fait JOYCE justement – qu’ADAM était bien entendu une MADAME, et qu’il n’a nommé les bestiaux que dans la langue de celle-ci, il faut bien le supposer, puisque celle que j’appellerai l’ÈVIE (e.v.i.e)… l’ ÈVIE que j’ai bien le droit d’appeler ainsi puisque c’est ce que ça veut dire en hébreu – si tant est que l’hébreu soit une langue – : la mère des vivants …eh bien l’ÈVIE l’avait tout de suite, et bien pendue cette langue, puisque après le supposé du « nommer » par ADAM, la première personne qui s’en sert c’est bien elle, pour parler au serpent.
Séminaire « Le sinthome », séance du 18 novembre 1975.
Le prénom Evie vient de l’hébreu havvah, « vie, source de vie ».
En hébreu, ’ish et ’isha signifient respectivement “homme” et “femme” (Gn 2,23)
Ève qui est la Mère des vivants (Genèse 3,20) et l’épouse d’Adam.
LES DIX COMMANDEMENTS
Je vais, l’heure avançant, sauter un peu plus loin, pour en venir enfin à ce qui fait le cœur même, aujourd’hui, est la pointe de notre réflexion sur ces rapports du désir et de la loi. C’est le fameux commandement qui s’exprime ainsi, il fait toujours sourire, à bien y réfléchir on ne sourit pas longtemps :
« Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain, tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui appartient à ton prochain. »
Assurément, la mise de la femme entre la maison et le bourricot est quelque chose qui a suggéré à plus d’un l’idée de ce qu’on pouvait voir là les exigences d’une société primitive : des Bédouins quoi, des Bicots, des Ratons…
Eh bien, je ne pense pas. Je veux dire que si, effectivement, cette loi, toujours en fin de compte vivante dans le cœur d’hommes qui la violent chaque jour, bien entendu, au moins concernant ce dont il s’agit quand il s’agit de la femme de son prochain, doit sans doute avoir quelque rapport avec ce qui est notre objet ici, à savoir das Ding.
Séminaire « L’Éthique de la psychanalyse », séance du 23 décembre 1959.
CITATION BIBLIQUE
On pourrait la rapprocher, dans les créations du règne animal, mais elle est originée en tant que fabriquée, ouverte à la mode, à l’ancienneté, à la nouveauté, elle est valeur d’usage, de temps, elle est réserve de besoins, elle est là, qu’on en ait besoin ou qu’on n’en ait pas besoin, et c’est autour de cette étoffe que va s’organiser toute cette dialectique de rivalités et de partages, dans laquelle vont se constituer les besoins comme tels. Pour le saisir, mettez simplement à l’horizon, dans l’opposition à cette fonction, la parole évangélique, la parole stupéfiante où le Messie fait montre aux hommes de ce qu’il en est de ceux qui se fient à la Providence du Père :
« Ils ne tissent ni ne filent, ils proposent aux hommes l’imitation de la robe des lis et du plumage des oiseaux »(55).
55. Cf. Matthieu : 6, 25-34 et Luc : 12, 22-32
Stupéfiante abolition du texte par la parole ! Comme je vous l’ai fait remarquer la dernière fois, c’est bien en effet ceci qui caractérise cette parole, c’est qu’il faut l’arracher à tout le texte pour pouvoir y avoir foi.
Séminaire « L’Éthique de la psychanalyse », séance du 11 mai 1960.
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On pourrait les prendre un par un (les 10 commandements), en passant, bien sûr par celui sur le mensonge, puis ensuite sur cet interdit de « convoiter la femme, le bœuf ni l’âne de ton voisin » qui est toujours celui qui te tue. On voit mal ce qu’on pourrait convoiter d’autre ! La cause du désir étant précisément bien là.
Séminaire « D’un Autre à l’autre », séance du 11 décembre 1968.
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Nous ne sommes pas en train de dire que dans notre culture, tout se résume à cette « dialectique du maître et de l’esclave ». N’oublions pas que dans la genèse judéo-chrétienne, le meurtre premier est celui que je n’ai pas besoin de vous rappeler, mais dont personne ne semble avoir remarqué que si CAÏN tue ABEL, c’est pour faire la même chose que lui.
Ça plaît tellement à Dieu, ces agneaux qu’il lui sacrifie, ça chatouille d’une façon si manifestement visible ses narines… car enfin, le Dieu des Juifs a un corps : qu’est-ce que la colonne de fumée qui précède la migration israélienne sinon un corps ?
…CAÏN voit ABEL favoriser à ce point la jouissance de Dieu par son sacrifice, que comment ne ferait-il pas ce pas de sacrifier le sacrificateur à son tour ?
Séminaire « D’un Autre à l’autre », séance du 11 juin 1969.
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Comme vous vous en souvenez, une petite histoire, assez plate d’ailleurs, de répliques sur le Veau d’or (9), peut suffire à le réveiller ce veau qui dort debout. On voit alors qu’il est, si je puis dire, d’or dur. Entre « le dur désir de durer » d’ÉLUARD,
et le désir de dormir qui est bien la plus grande énigme, sans qu’on semble s’en aviser, que FREUD avance dans le mécanisme du rêve, car ne l’oublions pas : « Wunsch zu schlafen » dit-il – il n’a pas dit schlafen Bedürfnis, besoin de dormir, ce n’est pas de cela qu’il s’agit – c’est le Wunsch zu schlafen qui détermine l’opération du rêve.
(9) Cf. séminaire 1957-58 : « Les formations de l’inconscient », séance du 20-11-1957.
Séminaire « L’envers de la psychanalyse », séance du 21 janvier 1970.
LES FABLES
Vous vous trouvez dans la fable de « La tortue et des deux canards » : elle arrive à ce point crucial quand enfin les canards lui ont proposé de l’emmener aux Amériques, et que tout le monde attend de voir cette petite tortue accrochée au bâton de voyageuse. « La reine ? dit la tortue, oui, vraiment, je la suis. ». Là dessus PICHON* se pose d’énormes questions pour savoir s’il s’agit d’une reine à l’état abstrait, ou d’une reine concrète, et spécule de façon déconcertante pour quelqu’un qui avait quelque finesse en matière grammaticale et linguistique, de savoir si elle n’aurait pas dû dire : « je suis elle ».
Si elle avait parlé d’une reine véritablement existante, elle dirait peut-être beaucoup de choses : « Je suis la reine », mais si elle dit quelque chose comme cela, « je la suis », c’est-à-dire ce dont vous venez de parler, il n’y a aucune autre distinction à introduire, que de savoir que « la » concerne ce qui est impliqué dans le discours.
* Édouard Jean Baptiste Pichon, né le 24 juin 1890 à Sarcelles et mort en 1940, est un médecin, linguiste et psychanalyste français. Il est cofondateur de la Société psychanalytique de Paris.
Séminaire « Les psychoses », séance du 27 juin 1956.
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: Je n’ai pas besoin, pour cela, d’aller à l’extrême des paradoxes d’un Bernard De MANDEVILLE qui montre, dans « La fable des abeilles » que les vices privés forment la fortune publique. Il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de voir que, si ces dix commandements sont là avec leur caractère d’immanence préconsciente, ils répondent à quelque chose.
Eh bien, c’est là, la prochaine fois, que je reprendrai les choses. Je ne les reprendrai pas pourtant là sans faire encore un détour, et celui-ci, qui fera encore appel à une référence essentielle, celle que j’ai prise quand pour la première fois, j’ai parlé devant vous de ce qu’on peut appeler le réel. Le réel, vous ai-je dit, c’est ce qui se retrouve toujours à la même place.
Séminaire « L’Éthique de la psychanalyse », séance du 16 décembre 1959.
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J’aime mieux les fables.
Et la fable, à cette occasion, sera la suivante, ADAM et ÈVE, à cette seule condition que la dimension du signifiant, je vous le rappelle, introduite par le Père dans ses indications bienveillantes :
« Adam, donnez des noms à tout ce qui est autour de vous. »
Adam – ces fameux poils d’une ÈVE que nous souhaitons à la hauteur de la beauté qu’évoque ce premier geste – arrache un poil. Tout est autour de ce poil, de ce poil de grenouille, autour de quoi sans doute pivote ce que je suis en train d’essayer de vous montrer ici. On arrache un poil à celle qui vous est donnée comme la conjointe attendue de toute éternité, et le lendemain, trois tours d’histoire, elle vous revient avec un manteau de vison sur les épaules !
…
Là est le ressort de la nature de l’étoffe. Ça n’est pas parce que l’homme a moins de poils que les autres animaux qu’il faut que nous consultions tout ce qui va se déchaîner à travers les âges de son industrie, de cette chose qui, s’il faut en croire les linguistes, est à l’intérieur de cette structure, au dehors de quoi va se poser le premier problème, le problème des biens.
Séminaire « L’Éthique de la psychanalyse », séance du 11 mai 1960.
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Autre fable : l’insecte qui se promène à la surface de la bande de Mœbius – j’en ai maintenant, je pense, assez parlé pour que vous sachiez tout de suite ce que je veux dire – cet insecte peut croire à tout instant – si cet insecte a la représentation de ce que c’est qu’une surface – qu’il y a une face, celle toujours à l’envers de celle sur laquelle il se promène, qu’il n’a pas explorée, il peut croire à cet envers.
Or il n’y en a pas, comme vous le savez. Lui, sans le savoir, explore ce qui n’est pas les deux faces, explore la seule face qu’il y ait. Et pourtant à chaque instant il y a bien un envers. Ce qui lui manque, pour s’en apercevoir qu’il est passé à l’envers, c’est la petite pièce manquante, celle que vous dessine cette façon de couper le cross-cap, et qu’un jour j’ai matérialisée, pour vous la mettre dans la main, construite, cette petite pièce manquante. C’est une façon de tourner ici en court-circuit autour du point qui le ramène, par le chemin le plus court, à l’envers du point où il était l’instant d’avant. Cette petite pièce manquante : le (a) dans l’occasion, est-ce à dire que parce que nous la décrivons sous cette forme paradigmatique, l’affaire est pour autant résolue ? Absolument pas !
Car c’est qu’elle manque qui fait toute la réalité du monde où se promène l’insecte.
Séminaire « L’angoisse », séance du 30 janvier 1963.
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L’étonnant est ceci que je vais énoncer, c’est que la forme ne livre que le sac, ou si vous voulez la bulle. Elle est quelque chose qui se gonfle, et dont j’ai déjà dit les effets à propos de l’obsessionnel, qui en est féru plus qu’un autre. L’obsessionnel – ai-je dit, quelque part, on me l’a rappelé récemment – c’est quelque chose de l’ordre de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. On en sait les effets, par une fable. Il est particulièrement difficile, on le sait, d’arracher l’obsessionnel à cette emprise du regard.
Séminaire « Le synthome », séance du 18 novembre 1975.
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LES CONTES :
Il y a trois ans, j’étais sur le point d’annoncer une conférence sur « Le diable amoureux »* de J. CAZOTTE.
Il y a peu de choses aussi exemplaires de la plus profonde divination de la dynamique imaginaire que j’essaye de développer devant vous, et spécialement aujourd’hui. Je m’en suis souvenu comme d’une illustration majeure qui vient l’accentuer, pour donner le sens de cet être magique au-delà de l’objet auquel peut s’attacher toute une série de fantasmes idéalisants. Il s’agit d’un conte qui commence à Naples, dans une caverne où l’auteur se livre à l’évocation du diable, qui ne manque pas, après les formalités d’usage, d’apparaître sous la forme d’une formidable tête de chameau pourvue tout spécialement de grandes oreilles, et il lui dit avec la voix la plus caverneuse qui soit : « Que veux-tu ? », « Che vuoi ? »
Séminaire « La relation d’objet », séance du 6 février 1957.
* Résumé : Un jeune homme, Alvare, décide par forfanterie de convoquer le diable en compagnie de trois amis. Le diable lui apparaît d’abord sous les traits d’un chameau, puis d’un épagneul et enfin sous les traits gracieux de Biondetta, dont il accepte les services.
Alvare s’efforce de résister aux séductions et aux agaceries de Biondetta. Il décide enfin de présenter Biondetta à sa mère pour pouvoir l’épouser. En chemin, ils s’arrêtent pour participer à une noce et comme on les a pris pour mari et femme, ils se retrouvent dans la même chambre. Au moment ultime, Biondetta jette le masque pour rappeler qu’elle est Belzébuth.
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LES LÉGENDES
Je prends une légende celtique – qui n’est point une légende, qui est un trait de folklore relevé du témoignage de quelqu’un qui fut serviteur dans une ferme. À la mort du maître du lieu, du seigneur, il voit apparaître une petite souris, il la suit. La petite souris va faire le tour du champ, elle se ramène, elle va dans la grange où il y a les instruments aratoires, elle s’y promène sur ces instruments : sur la charrue, la houe, la pelle et d’autres, puis elle disparaît. Après cela le serviteur, qui savait déjà de quoi il s’agissait concernant la souris, en a confirmation dans l’apparition du fantôme de son maître qui lui dit en effet : « J’étais dans cette petite souris, j’ai fait le tour du domaine pour lui dire adieu, je devais voir les instruments aratoires parce que ce sont là les objets essentiels auxquels une âme reste plus longtemps attaché qu’à tout autre, et c’est seulement après avoir fait ce tour que j’ai pu m’en aller délivré… » avec d’infinies considérations concernant à ce propos une conception des rapports du trépassé et de certains instruments liés à de certaines conditions de travail, conditions proprement paysannes, ou plus spécialement agraires, agricoles.
Séminaire « L’identification », séance du 29 novembre 1961.
LES PROVERBES
Je laisse de côté le rêve du neveu Hermann qui pose d’autres problèmes. Mais par contre je ferai état volontiers d’une petite note qui n’est pas dans la première édition pour la raison qu’elle a été élaborée au cours de discussions (enfin des comptes rendus d’école), et à laquelle FERENCZI a contribué en apportant à la rescousse le proverbe qui dit ceci :
« Le cochon rêve de glands, l’oie rêve de maïs »
Et dans le texte aussi, FREUD a alors à ce moment là aussi, fait état d’un proverbe que, je crois, il n’emprunte pas tellement au contexte allemand étant donné la forme que le maïs y prend : « De quoi rêve l’oie ? De maïs. »
Et enfin le proverbe juif : « De quoi rêve la poule ? Elle rêve de millet. »19
19 Sigmund Freud : L’interprétation des rêves, op. cit., p.122.
…
C’est en somme cette unité que cette série oppose tout à fait à l’électivité de la satisfaction du besoin, tel que l’exemple du désir imputé au cochon comme à l’oie. Le désir d’ailleurs, vous n’avez qu’à réfléchir à l’effet que cela ferait si au lieu, dans le proverbe, de dire que : « le cochon rêve de kukuruza (de maïs doux sucré) » nous nous mettions à faire une énumération de tout ce dont serait supposé rêver le cochon, vous verriez que ça fait un effet tout différent.
Et même si on voulait prétendre que seule une insuffisante éducation de la glotte empêche le cochon et l’oie de nous en faire savoir autant, et même si on pouvait dire que nous pourrions arriver à y suppléer en percevant dans un cas comme dans l’autre, et en trouvant l’équivalent, si vous voulez, de cette articulation dans quelques frémissements détectés dans leurs mandibules, il n’en resterait pas moins qu’il serait peu probable qu’il arrivât ceci, à savoir que ces animaux se nommassent comme le fait Anna FREUD dans la séquence.
Et admettons même que le cochon s’appelle « Toto » et l’oie « Bel Azor », si même quelque chose se produisait de cet ordre, il s’avérerait qu’ils se nommeraient dans un langage dont il serait cette fois bien évident d’ailleurs… ni plus, ni moins évident, que chez l’homme, mais chez l’homme ça se voit moins …que ce langage n’a précisément rien à faire avec la satisfaction de leur besoin puisque ce nom, ils l’auraient dans la basse-cour, c’est-à-dire dans un contexte des besoins de l’homme et non pas des leurs.
Séminaire « Le désir et son interprétation », séance du 3 décembre 1958.
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LA DAME À LA LICORNE
AMOUR COURTOIS ET HÉRÉSIE CATHARE
La position relative des rôles dans l’amour courtois, qui est le masque où s’exprime l’hérésie cathare, ne fait ainsi que projeter cette reconnaissance de la situation du désir, à se vouloir soi-même, c’est la mort qu’il rencontre et c’est la seule chose qu’il puisse rencontrer. Ce qu’il faudrait articuler ici, c’est l’absence de symbolisme dans cette tapisserie :
— le drame que jouent les trois oiseaux dans le haut de la tapisserie,
— les attitudes héraldiques des Animaux, de chaque côté de la Dame,
— les écus qu’ils portent,
— la position des arbres du nord – le chêne et le houx – par rapport aux arbres du midi : l’oranger et cet arbre exotique,
— l’atmosphère créée par la distribution dans la tapisserie des petits animaux, que semblent guetter le renard, le loup et la panthère,
— la présence des deux bannières et leur échange,
— la présence à la fin, d’une seule bannière, la bannière carrée, de gueules à bande d’azur portant trois lunes d’argent.
Séminaire « Pbs cruciaux pour la psychanalyse », séance du 24 mars 1965.
- Les six tapisseries qui composent la tenture de La Dame à la licorne :
Le toucher, le goût, l’odorat, l’ouïe et la vue… Ces six tapisseries, tissées autour de 1500, représentent les cinq sens sur un fond rouge habité d’une nature foisonnante.
Reste le sixième sens, commenté par l’inscription « À mon seul désir », qui a inspiré de nombreuses hypothèses. Sans exclure une signification dans le registre de l’amour courtois, il pourrait désigner le libre-arbitre : la femme à la coiffe apprêtée et aux vêtements recherchés renonce aux plaisirs temporels.
Ces tapisseries « millefleurs » se caractérisent par une flore abondante: fleurs, orangers, pins, houx ou chênes et sont peuplées d’un bestiaire paisible (singe, chiens, lapins, héron). Dans cette nature paradisiaque qui invite à la contemplation, la licorne est tantôt actrice et tantôt simple spectatrice. Accompagnée d’un lion, elle porte sur chaque scène les armoiries de la famille Le Viste.
La tenture de la Dame à la licorne a été acquise en 1882. Elle est aujourd’hui considérée comme l’un des grands chefs d’oeuvre de l’art occidental.
N° Inventaire : Cl. 10831 à 10836
Hauteur : 311 à 377 cm
Largeur : 290 à 473 cm
Complément d’information sur le lieu : Lieu de production : Paris (réalisation des cartons)
Périodes : 4e quart du 1(e siècle; 1er quart du 16e siècle.
Technique : tapisserie
Œuvre incontournable
https://www.musee-moyenage.fr/collection/oeuvre/la-dame-a-la-licorne.html
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En complément :
« La tortue et les deux canards » par Pilpay – Inde, IIIè siècle.
Par une année de grande sécheresse, des canards abandonnèrent un étang où ils vivaient et vinrent faire leurs adieux à une tortue leur amie.
— Ce n’est pas sans peine que nous nous éloignons de vous, mais nous y sommes obligées, et quant à ce que vous nous proposez de vous emmener, nous avons une trop longue traite à faire et vous ne pouvez pas nous suivre parce que vous ne sauriez voler ; néanmoins, si vous nous promettez de ne dire mot en chemin, nous vous porterons ; mais nous rencontrerons des gens qui vous parleront et cela sans cause de votre perte.
— Non, répondit la tortue, je ferai tout ce qu’il vous plaira.
Alors les canards firent prendre à la tortue un petit bâton par le milieu, qu’elle serra bien fort entre ses dents et, lui recommandant ensuite de tenir ferme, deux canards prirent le bâton chacun par un bout et enlevèrent la tortue de cette façon. Quand ils furent au-dessus d’un village, les habitants qui les virent, étonnés de la nouveauté de ce spectacle, se mirent à crier tous à la fois, ce qui faisait un charivari que la tortue écoutait impatiemment. À la fin, ne pouvant plus garder le silence, elle voulut dire :
— Que les envieux aient les yeux crevés s’ils ne peuvent regarder
Mais, dès qu’elle ouvrit la bouche, elle tomba par terre et se tua
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« La tortue et les deux canards » par Jean de La Fontaine,1621 – 1695
Une Tortue était, à la tête légère,
Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays,
Volontiers on fait cas d’une terre étrangère :
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.
Deux Canards à qui la commère
Communiqua ce beau dessein,
Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire :
Voyez-vous ce large chemin ?
Nous vous voiturerons, par l’air, en Amérique,
Vous verrez mainte République,
Maint Royaume, maint peuple, et vous profiterez
Des différentes moeurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. On ne s’attendait guère
De voir Ulysse en cette affaire.
La Tortue écouta la proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent une machine
Pour transporter la pèlerine.
Dans la gueule en travers on lui passe un bâton.
Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise.
Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.
La Tortue enlevée on s’étonne partout
De voir aller en cette guise
L’animal lent et sa maison,
Justement au milieu de l’un et l’autre Oison.
Miracle, criait-on. Venez voir dans les nues
Passer la Reine des Tortues.
– La Reine. Vraiment oui. Je la suis en effet ;
Ne vous en moquez point. Elle eût beaucoup mieux fait
De passer son chemin sans dire aucune chose ;
Car lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause.
Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité,
Ont ensemble étroit parentage.
Ce sont enfants tous d’un lignage.
Un exemple de recherche à partir du Bestiaire de Lacan :
Il m’arrive régulièrement de travailler avec Charles-Henry Pradelles, qui est anthropologue et psychanalyste, membre de l’École lacanienne de psychanalyse à Strasbourg. Charles-Henry travaille actuellement sur un écrit à propos de « L’interdit de l’inceste chez Lacan. » et m’a sollicité pour quelques références auxquelles je pouvais penser. En prenant le bestiaire et en allant à la rubrique
ANIMAUX DOMESTIQUES:
Mais pourquoi le fils ne couche pas avec sa mère ? C’est tout de même là qu’il reste quelque chose de voilé. Bien entendu, il fait justice de toutes les soi-disant justifications par les effets biologiques, soi-disant redoutables, de tous ces croisements trop proches. Il démontre qu’à bref délai toutes leurs conséquences sont rejetées. Je veux dire que, loin qu’il se produise ces effets de résurgence du récessif dont on peut craindre qu’il introduise des éléments de dégénérescence, des éléments redoutables, tout prouve au contraire qu’une telle endogamie est ce qui est couramment employé dans toutes les branches de la domestication pour améliorer une race, qu’il s’agisse d’une race végétale ou animale. C’est bien dans l’ordre de la culture que joue la loi et que la loi a pour conséquence, sans aucun doute bien entendu, toujours d’exclure cet inceste fondamental, l’inceste fils-mère qui est le point central sur lequel FREUD met l’accent.
Séminaire « L’Éthique de la psychanalyse », séance du 16 décembre 1959.
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Dire que Quelques animaux sont bons est évidemment dans ces conditions pas du tout une conclusion simplement formelle. Et c’est en ça que je soulignais tout à l’heure que l’usage de la logique – quoi que, elle-même, elle puisse énoncer –
n’est pas du tout à réduire à une tautologie. Que « quelques animaux soient bons », justement ne se limite pas à ceux qui sont des hommes, comme l’implique l’existence de ceux qu’on appelle les animaux domestiques.
Et ce n’est pas pour rien que depuis un temps j’ai souligné qu’on ne peut pas dire qu’ils n’aient pas l’usage de la parole. S’il leur manque le langage, et bien entendu bien plus : les ressorts du discours, ça les rend pas pour autant moins sujets à la parole, c’est même ça qui les distingue et qui les fait moyens de production.
Ceci, comme vous le voyez, nous ouvre une porte qui nous mènerait un tout petit peu loin. Je vous ferai remarquer que je livre à votre méditation que dans les commandements dits du Décalogue, la femme est assimilée aux susdits [moyens de production], sous la forme suivante : « Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son bœuf, ni son âne. »
Et enfin il y a une énumération qui est très précisément celle des moyens de production. Ceci n’est pas pour vous donner l’occasion de ricaner mais de réfléchir, en rapprochant ce que je vous fais remarquer là en passant, de ce qu’autrefois, autrefois j’avais bien voulu dire de ce qui s’exprimait dans les commandements, à savoir rien d’autre que les lois de la parole, ce qui limite leur intérêt, mais il est très important justement de limiter l’intérêt des choses pour savoir pourquoi, vraiment, elles portent.
Bon, eh bien ceci étant dit, ma foi comme j’ai pu, c’est-à-dire par un frayage, enfin qui est comme d’habitude n’est-ce pas, celui que je suis forcé de faire du grand A renversé : de la tête de buffle, du Bulldozer, je passe à l’étape suivante, à savoir à ce que nous permet d’inscrire le progrès de la logique.
Séminaire « D’un discours qui ne serait pas du semblant » , séance du 19 mai 1971.
À la rubrique INSECTES :
Et aussi bien il est étrange que ne soit pas apparu tout aussitôt, à spéculer sur les termes biologiques, qui sont ceux vers quoi aspire à se référer la psychanalyse, c’est qu’on ne s’aperçoive pas de cette chose qui semble être dite comme allant de soi que tout enfant a une mère, et où on souligne même comme pour nous mettre sur la voie qu’assurément pour le père, nous sommes dans l’ordre de la foi.
Mais serait-il si sûr qu’il ait une mère si, au lieu d’être un humain c’est-à-dire un mammifère, il était un insecte ? Quels sont les rapports d’un insecte avec sa mère ?
Si nous nous permettons perpétuellement de jouer – et ceci est présentifié dans les psychanalyses – entre la référence de la conception et celle de la naissance, nous voyons la distance qu’il y a entre les deux et que le fait que la mère soit la mère ne tient pas, si ce n’est par une nécessité purement organique : je veux dire que jusqu’à présent, il n’y a qu’elle pour pondre dans son propre utérus ses propres œufs, mais après tout, puisqu’on fait de l’insémination artificielle maintenant, on fera peut-être aussi de l’insertion ovulaire.
La mère, ce n’est pas, au niveau où nous le prenons dans l’expérience analytique, ce quelque chose qui se réfère aux termes sexuels. Nous parlons toujours du rapport dit sexuel, parlons aussi du sexuel dit « rapport ». Le sexuel dit « rapport » est complètement masqué par ceci que les êtres humains dont nous pouvons dire que s’ils n’avaient pas le langage, comment même sauraient-ils qu’ils sont mortels ?
Nous dirons aussi bien que s’ils n’étaient pas mammifères, ils ne s’imagineraient pas qu’ils sont nés, car le surgissement de l’être en tant que nous opérons dans ce savoir construit et qui aussi bien devient pervertissant pour toute la dialectique opératoire de l’analyse que nous faisons tourner autour de la naissance, est–ce que c’est autre chose que ceci qui, au niveau de PLATON, se présentait avec une allure que je trouve quant à moi plus sensée, voyez le mythe d’ER107?
Qu’est-ce que c’est que cette errance des âmes une fois qu’elles sont parties des corps ? Elles sont là dans un hyperespace avant d’entrer se reloger quelque part, selon leur goût ou le hasard, que nous importe.
Qu’est-ce que c’est sinon quelque chose qui a beaucoup plus de sens pour nous analystes…
Qu’est-ce que c’est que cette âme errante si ce n’est précisément ce dont je parle : le résidu de la division du sujet ?
Cette métempsychose me paraît logiquement moins fautive que celle qui fait l’avant de tout ce qui se passe dans la dynamique psychanalysante du séjour dans le ventre de la mère. Si nous l’imaginions, ce séjour, comme il est après tout au début de la lignée mammalienne, à savoir le séjour dans une poche marsupiale, ça nous frapperait moins.
Ce qui nous fait illusion, c’est la fonction du placenta.
Eh bien, la fonction du placenta, c’est quelque chose qui n’existe pas au niveau des premiers mammifères. Le placenta semble bien devoir se situer au niveau justement de cet objet plaqué, de ce quelque chose qui, à un niveau de l’évolution biologique…nous n’avons pas à considérer si c’est un perfectionnement ou pas …se présente comme cette appartenance au niveau de l’autre qu’est le sein plaqué sur la poitrine, et c’est ce sein autour de quoi tourne ce dont il s’agit au niveau d’une apparition exemplaire de l’objet(a).
Séminaire « L’acte psychanalytique », séance du 13 mars 1968.
À la rubrique CROCODILE :
LES CROCODILES
De plus en plus, les psychanalystes s’engagent dans quelque chose qui est effectivement excessivement important, à savoir le rôle de la mère, et ces choses – mon Dieu – mais enfin j’ai commencé déjà de les aborder. Le rôle de la mère, c’est le « béguin » de la mère. C’est absolument capital, parce que le « béguin » de la mère c’est pas quelque chose qu’on peut supporter comme ça, enfin, et que ça vous soit indifférent. Ça entraîne toujours des dégâts. N’est-ce pas, hein ? Un grand crocodile comme ça – hein ? – dans la bouche duquel vous êtes, c’est ça la mère, non ? On sait pas ce qui peut lui prendre, tout d’un coup comme ça,
de le refermer son clapet. C’est ça, le désir de la mère.
Alors j’ai essayé d’expliquer que ce qu’il y avait rassurant c’est qu’il y avait un os – comme ça je vous dis des choses simples[Rires] – il y avait quelque chose qui était rassurant – j’improvise un peu [Rires] – un rouleau comme ça, bien dur, en pierre, qui est là en puissance au niveau du clapet, ça retient, ça coince : c’est ce qu’on appelle le phallus, le rouleau qui vous met à l’abri si tout d’un coup ça se referme.
Ça c’est des choses que j’ai exposées dans son temps, comme ça, parce que c’était un temps où je parlais à des gens qu’il fallait ménager : c’était des psychanalystes ! Il fallait leur dire des choses grosses comme ça pour qu’ils les comprennent. D’ailleurs, ils ne comprenaient pas tous. [Rires] Alors j’ai parléà ce niveau là de la métaphore paternelle.
J’ai introduit… je n’ai jamais parlé du complexe d’Œdipe que sous cette forme.
Séminaire « L’envers de la psychanalyse », séance du 11 mars 1970.