Conférence Montevideo – Faculté de psychologie
Le jeudi 18 avril 2018
Le courage du non-savoir.
Par George-Henri Melenotte
Ma façon de ne plus être le même est, par définition,
la part la plus singulière de ce que je suis.
Michel Foucault
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Dans un texte paru dans le numéro 31 de la revue L’unebévue, Allouch publie un article intitulé « Quatre leçons proposées par Foucault à l’analyse. » Ces leçons portent sur la discursivité, le soulèvement, le dire-vrai ou parrhêsia et l’articulation du langage à la folie. Ce texte est prononcé le 10 juin 2014, à Paris, à la Maison de l’Amérique latine. Allouch s’y livre à un exercice habituel, l’introduction dans le champ freudien de termes venus de Michel Foucault. Parmi ceux-ci, le courage. Il l’emploie dans l’expression « le courage du non-savoir. »
Cette expression l’amène à formuler une critique par rapport à Foucault avec la question du dire-vrai, de la parrhêsia. Il en donne la raison :
L’analysant n’est précisément pas invité à choisir un mot plutôt qu’un autre, pas invité à dire la vérité, à parler en toute franchise, à être sincère, à tenir un propos transparent, à régler d’une même façon sa parole et sa conduite, à savoir ce qu’il dit avant de le dire. Et le courage dont il est amené à faire preuve est non pas celui de la vérité mais ce que l’on peut sans doute appeler, toujours par cet effet de contraste si saisissant que je constate, le courage du non-savoir.
Le choix d’un mot plutôt qu’un autre se réfère à la recherche de l’effet rhétorique qui accompagne tout logos. Dans L’Herméneutique du sujet, son cours au Collège de France de 1981-1982, Foucault souligne que le conflit qui a traversé le discours philosophique depuis la Grèce antique jusqu’à l’Empire romain, a eu lieu entre le logos, le recours au langage, et la lexis qui porte sur la manière de dire ces choses pour les faire accueillir par un auditoire. Plus directement, se pose là le problème du recours, nécessaire au discours philosophique, à des choix dans ses termes qui font que tel sera préféré à tel autre dans une visée persuasive, rhétorique par conséquent. L’idée propre à ce conflit est que le discours philosophique, tout en utilisant la lexis, peut s’en trouver entaché. C’est précisément au renoncement à toute forme de rhétorique que le dire-vrai se trouve tenu puisqu’il se suffit à lui-même. La parrhêsia, le dire-vrai, sollicite du courage, parce que c’est un dire sans fard.
Tel n’est pas le cas du discours de l’analysant. Celui-ci sollicite une autre forme de courage, celui de dire sans savoir ce qu’il dit. Ceci implique qu’il peut farder son propos, il peut user de la flatterie qui est une arme rhétorique et l’adversaire résolu de la parrhêsia. Allouch précise que :
L’analyse ouvre aussi largement que possible la porte à ce que Foucault appelle « la mauvaise parrhêsia », celle qui efface le « dire-vrai », celle où n’importe qui dit n’importe quoi.
L’analyse ne perd pas la perspective de la vérité mais elle le fait en ayant recours à la « mauvaise parrhêsia », celle dont Foucault dit qu’elle élimine la bonne. C’est « celle du « tout le monde », du « n’importe qui », « disant tout et n’importe quoi, pourvu que cela soit bien reçu par n’importe qui, c’est-à-dire par tout le monde. » L’analyse ouvre la porte à l’adversaire du dire-vrai, au démagogue, à celui qui flatte le peuple pour parvenir à ses fins en faisant semblant de lui dire le vrai pour le conquérir à sa cause. Il y a là un courage nécessaire à s’exposer à un propos qui divulgue l’opinion courante, un propos sur ce que n’importe qui peut penser ou entendre. Le courage du non-savoir sera alors du côté de l’analyste dans la mesure où, devant cette mauvaise parrhêsia, il suspendra son jugement en se gardant bien de corriger la parole de son analysant pour le mettre sur les rails du dire-vrai.
Allouch ajoute qu’il n’y a pas dans l’analyse de pacte parrhésiastique par lequel l’analysant s’engagerait, par contrat avec son analyste, à lui dire la vérité. De même, l’analysant n’est-il nullement tenu de signer un tel pacte avec lui-même. Ferenczi, rappelle-t-il, a certes engagé ses analysants dans cette sorte de pacte où ces derniers affrontaient le courage de la vérité en lui tenant des propos transparents et sincères. L’association libre préconisée par Freud n’est pas un pacte du dire-vrai. Loin de là.
Dans une interview, en date du 22 mai 1981, Foucault répond à une question portant sur la psychanalyse. Il y tient un propos assez long, en particulier, ceci :
J’ai tenté d’examiner le rôle plutôt curieux que la psychanalyse a pu jouer par rapport à ces domaines de connaissance (il parle des exposés scientifiques ou à prétention scientifique). La psychanalyse n’est donc pas une science avant tout, c’est une technique de travail de soi sur soi fondée sur l’aveu.
Une telle définition n’est pas recevable puisque l’analyse pose avec sa règle tout autre chose que l’aveu, c’est-à-dire un dire-libre, désarrimé de la contrainte du dire-vrai. En ce sens, il n’est pas possible d’inscrire sans réserve dans la généalogie de l’analyse, les techniques de l’aveu mis au point par les Pères de l’Église, que ce soit à partir du IIe siècle, au IVe siècle en particulier avec Saint Augustin. La question du dire-vrai ne se pose pas dans l’analyse du fait de la distinction nécessaire entre l’invitation à dire n’importe quoi et la règle contractuelle du dire-vrai.
Allouch écrit :
Les termes de l’aveu sont déjà présents dans l’esprit de celui qui attend l’aveu puis le reçoit (une liste de péchés chez le confesseur, un délit dûment constaté chez le juge), tandis que rien de tel n’habite l’esprit de l’analyste.
Le courage du non-savoir ne concerne pas seulement l’analysant quand il s’expose à dire n’importe quoi sans souci du dire-vrai qui, lui, comporte un contrôle de sa parole, mais aussi l’analyste quand il s’expose à une rhétorique trompeuse qu’il s’abstient de corriger pour la mettre sur le chemin de la vérité. Dans un cas comme dans l’autre, il y a sollicitation du non-savoir, côté analysant dans la mesure où il ne sait pas ce qu’il dit, côté analyste parce qu’il s’abstient d’inscrire l’analysant dans un contrat parrhésiastique.
Nous pourrions en rester là et nous contenter de ces recommandations pour l’analyse, s’il n’y avait pas une autre dimension du courage que Foucault traite à plusieurs reprises. Il le fait à partir d’un commentaire d’un texte d’Emmanuel Kant, Was ist Aufklärung ?, qu’il va reprendre à plusieurs occasions Cette dimension est celle du courage de l’attitude critique qui traverse de part en part l’analyse foucaldienne et qu’Allouch reprend à son compte depuis 1998, où il a avancé que l’analyse sera foucaldienne ou ne sera plus.
Je prendrai appui sur un texte de Michel Foucault, celui d’une conférence prononcée le 27 mai 1978, à la Sorbonne, devant la Société française de Philosophie et publiée en 1990 sous le titre « Qu’est-ce que la critique ? ». Dans un premier temps, il me paraît utile de vous lire le début de la réponse que Kant fait en 1784 à la question : Qu’est-ce que les Lumières ?, texte qui, d’après Foucault, est un moment décisif dans l’avènement de la pensée philosophique moderne. Kant y donne au courage une place notable et l’on verra comment il le définit :
Les lumières se définissent comme la sortie de l’homme de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d’un manque d’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des lumières.
La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute direction étrangère (naturaliter maiorenes), restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs ; et qu’il soit si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si commode d’être mineur.
Dans le premier paragraphe, le mot « courage » (der Mut) apparaît deux fois. Il est suivi dans le paragraphe suivant de « paresse » (die Faulheit) et « lâcheté » (die Feigheit). Ces deux derniers termes font pendant à « courage » pour lui donner l’aspect d’une critique morale. L’absence de courage explique le maintien des hommes devenus adultes dans un statut de minorité.
Dans la conférence du 27 mai 1978, Foucault fait appel à ce qu’il appelle une attitude critique. D’après lui, une telle attitude a une dimension morale qu’il compare à la vertu : « Il y a quelque chose dans la critique qui s’apparente à la vertu. Et d’une certaine façon, ce dont je voulais parler, c’était de l’attitude critique comme vertu en général. » Dans le manuscrit de son texte, se trouve ce passage non lu par Foucault :
Dans la critique, nul n’est titulaire, nul n’est théoricien. Le critique universel et radical n’existe pas. Mais toute activité de réflexion, d’analyse et de savoir en Occident porte avec soi la dimension de la critique possible. Dimension qui est perçue à la fois comme nécessaire, souhaitable, utile en tout cas ; et qui laisse insatisfait, qui ne peut s’arrêter à elle-même et qui, à cause de cela même suscite méfiance et, justement critique.
Critique aimée et mal aimée, moquerie moquée ; ses agressions sont sans cesse attaquées, par cela qu’elle attaque, par le fait qu’elle ne fait qu’attaquer, et parce que la loi de son existence, c’est qu’elle est attaquée elle-même.
Impatience impatiemment supportée. Qu’est-ce donc qu’en Occident cette impatience dans la manière d’être et de penser ? Essentielle et précaire, fugitive et permanente.
Cette obligation toujours déconsidérée ?
En 1984, Foucault parlera aussi d’une « impatience de la liberté ». L’attitude critique qu’il préconise ici n’est pas le fait de certains qui s’en approprieraient la vertu. Comme toute réflexion, analyse et savoir sont susceptibles de critique, aucune de ces catégories n’échappe à son exercice. Si elle est à la portée de chacun, elle est nécessaire et utile. Elle est une obligation, même, si elle est une pratique qui s’expose à son tour à la critique, à l’attaque par ceux-là même qu’elle met en question. Elle n’est donc pas une position tranquille, mais une impatience dotée de ces qualités contradictoires d’être à la fois essentielle et précaire, fugitive et permanente. Elle ne s’établit pas une fois pour toute, elle est incessante. Foucault précise :
La critique, ce sera l’art de l’inservitude volontaire, celui de l’indocilité réfléchie. La critique aurait essentiellement pour fonction le désassujetissement dans le jeu de ce qu’on pourrait appeler, d’un mot, la politique de la vérité.
Commentant le passage du texte de Kant, Foucault s’interroge sur la minorité comme incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Il y voit une corrélation entre un excès d’autorité et un manque de décision et de courage. Le texte de Kant est un « appel au courage » pour passer de la minorité à la majorité D’après Foucault, la critique dira au savoir :
Sais-tu bien jusqu’où tu peux savoir ? Raisonne tant que tu veux, mais sais-tu bien jusqu’où tu peux raisonner sans danger ? La critique dira, en somme, que c’est moins dans ce que nous entreprenons, avec plus ou moins de courage, que dans l’idée que nous nous faisons de notre connaissance et de ses limites, qu’il y va de notre liberté, et que, par conséquent, au lieu de laisser dire par un autre « obéissez », c’est à ce moment-là, lorsque l’on se sera fait de sa propre connaissance une idée juste, que l’on pourra découvrir le principe de l’autonomie et que l’on n’aura plus à entendre le obéissez ; ou plutôt que le obéissez sera fondé sur l’autonomie elle-même.
La sortie de la minorité ne relève pas d’une simple désobéissance. Elle ne se limite pas à la destitution des tuteurs et de leur autorité pour atteindre par son propre entendement une liberté débarrassée de leur direction. Sapere aude ! écrit Kant. La question se pose dans les termes du courage de savoir. Savoir ne revient pas à se faire une idée juste des choses, à découvrir l’étendue des connaissances en même temps que leurs limites. En se libérant de l’emprise des tuteurs, il est possible d’accéder à une autonomie de la pensée qui permet – ou pas d’obéir mais cette fois-ci en connaissance de cause. Kant en arrive à préconiser non pas le refus d’obéir mais l’accès à une autonomie suffisante venue du courage de savoir pour décider d’obéir ou pas. Foucault :
Pour Kant lui-même, ce vrai « courage de savoir » consiste à reconnaître les limites de la connaissance ; et il serait facile de montrer que, pour lui, l’autonomie est loin d’être opposée à l’obéissance aux souverains.
Si l’on saisit l’enjeu du courage de savoir, alors se mesure ce que Foucault va appeler « le foyer de la critique ». Ce foyer sera à l’origine du déplacement des problématiques historiques qu’il va analyser en les faisant glisser sous un faisceau de rapports entre pouvoir, vérité et sujet. Dans l’exemple du texte de Kant, se perçoit combien sa critique permet le passage de la minorité à la majorité. Le courage de savoir ne se réduit pas à la seule levée de la tutelle des maîtres. Il s’agit d’une quête par laquelle le sujet s’émancipe de leur emprise par son accès à une autonomie. Celle-ci lui permet d’acquérir par son propre entendement, des connaissances et celles de leurs limites. Elle lui permet aussi d’accéder au rapport que ce savoir entretient avec le pouvoir, et encore, de savoir en quoi ce qu’il ose savoir a un rapport avec la vérité.
L’inservitude volontaire que Foucault préconise avec son attitude critique n’est pas seulement un coup de pied donné à la servitude volontaire de La Boétie. Elle est une pratique de la liberté critique qui modifie le sujet par une autre procédure que celle de son assujettissement aux ordres de ceux qui nous gouvernent. Elle se fait dans un rapport étroit à sa recherche de savoir et de vérité. Foucault parle de la fonction de désassujetissement par la critique pour une politique de la vérité. Dans La Volonté de savoir, il aborde la question d’une « histoire politique de la vérité ». Il écrit ceci : « La vérité n’est pas libre par nature, ni l’erreur serve, mais (..) sa production est tout entière traversée par des rapports de pouvoir. L’aveu en est un exemple. » Dans un entretien avec Michel Foucault, réalisé par A. Fontana et P. Pasquino, en juin 1976, Foucault dit :
Le problème politique essentiel pour l’intellectuel, […] [est] de savoir s’il est possible de constituer une nouvelle politique de la vérité. Le problème n’est pas de changer la conscience des gens ou ce qu’ils ont dans la tête, mais le régime politique, économique, institutionnel de production de la vérité.
Dans la leçon du 5 janvier 1983, du Cours au Collège de France, intitulé Le gouvernement de soi et des autres, Foucault revient sur cette question du courage. Relisant le texte de Kant, il note que les termes de paresse et lâcheté s’inscrivent dans un registre moral. Le fait que les hommes se maintiennent dans un état de minorité ne tient pas à l’imposition de leur comportement, venue d’une autorité externe, mais bien à eux-mêmes. C’est dans le rapport à soi que se repère le fait que chacun n’effectue pas le geste de courage qui lui permettrait d’accéder à son autonomie. Foucault constate là « une sorte de déficit dans le rapport d’autonomie à soi-même. » :
La paresse et la lâcheté, c’est ce par quoi nous ne nous donnons pas à nous-mêmes la décision, la force et le courage d’avoir avec nous-même le rapport d’autonomie qui nous permet de nous servir de notre raison et de notre morale.
Devant ce qu’il nomme « positivités », soit ce qui nous est donné et qu’il qualifie aussi d’« ensembles », Foucault adopte l’attitude suivante : ces ensembles ne vont pas de soi : « quelles que soient l’habitude ou l’usure qui ont pu nous les rendre familières, quelle que soit la force d’aveuglement des mécanismes de pouvoir qu’elles font jouer ou quelles que soient les justifications qu’elles ont élaborées, elles n’ont pas été rendues acceptables par quelque droit originaire. » Suit la phrase décisive :
Ce qu’il s’agit de faire ressortir pour bien saisir ce qui a pu les rendre acceptables, c’est que justement cela n’allait pas de soi.
Foucault prend comme exemples de ces positivités érigées en systèmes, la folie et la maladie mentale « qui se superposent dans le système institutionnel et scientifique de la psychiatrie ». Il en va de même pour les procédés punitifs, l’emprisonnement et la discipline pénitentiaire qui viennent s’articuler dans un système pénal. Il cite aussi la sexualité : « Ce n’était pas plus donné que le désir, la concupiscence, le comportement sexuel des individus doivent effectivement s’articuler les uns sur les autres dans un système de savoir et de normalité appelé sexualité. »
L’attitude critique de Foucault va contre les évidences du donné. Elles nous sont données comme systèmes à partir desquels se construisent des formes de pouvoir qui ne sont jamais analysées comme n’allant pas de soi. Bien au contraire, sont-elles acceptées sans que l’on interroge les conditions de leur acceptabilité. Or, poursuit Foucault, « bien des éléments acceptés, bien des conditions d’acceptabilité peuvent avoir derrière eux une longue carrière. » Ce qu’il s’agit dès lors d’entreprendre est de saisir dans ces positivités « des singularités pures » :
Ni incarnation d’une essence, ni individualisation d’une espèce : singularité que la folie dans le monde occidental moderne, singularité absolue que la sexualité, singularité absolue que le système juridico-moral de nos punitions. »
Dans son ouvrage, La psychanalyse : une érotologie de passage, Allouch indique en quoi Lacan se montre foucaldien. Lacan n’est pas une thèse, nous dit-il, « ça n’est pas un « système de pensée », c’est un frayage, c’est un mouvement, c’est un parcours. » Á lire ces lignes, on croirait Foucault parlant de son propre itinéraire. Allouch donne ses arguments :
Ainsi, quand il délaisse comme une vieille peau l’intersubjectivité ou la parole pleine, ou le désir défini hégeliennement comme le désir de l’Autre, ou le statut paradigmatique d’RSI, le voyons-nous en effet s’écarter lui-même de lui-même, penser contre lui-même, et avec un certain Freud, celui de la résistance à la norme.
Voilà la norme revenue ici sous une forme différente de celle que Foucault utilise quand il parle de positivités. Cette façon de Lacan de penser contre lui-même ressemble fort à celle de Foucault quand il donne comme tâche au philosophe d’avoir à se déprendre de lui-même. Pour se déprendre de soi, encore faut-il que, dans le rapport de soi à soi dont parle Foucault, intervienne le courage de ne plus savoir ce qui, dans un premier abord, avait été accepté comme su. Et, si comme nous l’avons vu, le courage du non-savoir rejoint le courage de savoir pour peu que ce savoir soit épousseté par la balayette de l’attitude critique, ici le courage du non-savoir revient à se déprendre de ce qui nous a été donné comme corps de connaissance légitime et acceptable.
Dans l’actualité de la période présente, se pose à l’analyse la question de ce qu’elle est aujourd’hui. Après Lacan, apparaît nécessaire d’effectuer une analyse critique du présent. Si telle est la tâche que Foucault donne au philosophe, elle revient aussi à l’analyste. Comment éviter de constituer l’apport de Lacan en enseignement ? Comment éviter de le réduire à un savoir transmissible qui manie des catégories universelles ou essentielles, quand bien même on les référerait au champ freudien ? Comment se déprendre de la surface du discours de Lacan pour, comme le fait Allouch, chercher les quelques grains de sable à partir desquels il proposera les deux analytiques du sexe ? La tâche est rude. Elle requiert une attitude critique vis-vis de ce que Lacan nous a laissé pour rejoindre ce que fut la sienne tout au long de son séminaire : un courageux et incessant mouvement afin de nettoyer les écuries d’Augias d’une analyse réduite à un corps fossilisé de connaissances.